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G. LANSON. — À propos de la « crise du libéralisme »

doctrine, acceptent de changer de camp. Mais le parti libéral n’est pas le libéralisme. Les formules relatives d’une école n’épuisent pas le principe libéral ; les positions historiques d’une ou deux générations ne déterminent pas le contenu du libéralisme spéculatif. Et la question est si le libéralisme ne peut pas sortir renouvelé, épuré, fortifié, de la crise du parti libéral actuel. On pourrait remarquer même que les grands libéraux de la Restauration, sur la question qui a amené la consultation présente, ne pensaient pas du tout comme les libéraux de 1875 ou de 1902 ; que ces fondateurs du parti libéral résolvaient la question des congrégations dans le même sens et de la même façon que les républicains qu’on appelle aujourd’hui des autoritaires ; il n’y avait pas là pour eux abandon, mais affirmation du principe libéral. Et quand les libéraux de 1850 ont accepté la loi Falloux, ils y ont consenti, quelques-uns à grand’peine, non comme à une application, mais comme à un sacrifice de leur doctrine, pour ce qu’ils imaginaient être une nécessité sociale. En réalité nous avons eu déjà deux traditions libérales, contradictoires, sur la question des congrégations.

Une autre remarque qu’il faut faire, c’est que tout le monde convient qu’en société les libertés doivent être organisées, c’est-à-dire réglées, restreintes. La liberté absolue, illimitée, inconditionnée, c’est l’état de nature. Dès qu’une société se fonde, les libertés s’équilibrent et se limitent. Il ne s’agit donc que de savoir comment établir l’équilibre, où poser les limites, On peut être en désaccord là-dessus, sans que le principe soit mis en question. Les uns croient pouvoir conserver davantage, les autres estiment devoir sacrifier davantage de la liberté naturelle : ce n’est pas forcément une question de doctrine, mais une question d’application. L’essentiel est que tous aient également en vue de maintenir aux individus le maximum de liberté compatible avec une organisation sociale.

J’ai peine encore à admettre l’antinomie absolu que pose M. Bouglé entre ces deux termes de liberté et d’autorité. D’abord la contradiction n’existe que dans l’abstrait : dès qu’on introduit l’idée d’une évolution historique, c’est-à-dire dès qu’on regarde les réalités et non des abstractions, la contradiction s’évanouit. Dans l’ancien régime, l’autorité s’exerce en faveur de certains individus et de certaines classes, qui n’ont même pas, pour exploiter à leur profit l’organisation sociale, la supériorité du mérite. Contre cette autorité aristocratique, on fait valoir le principe de liberté. Laissez faire,