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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

conque. Le savant observe la marche d’une planète ; il cherche à réunir par une courbe les positions observées, et il cherche dans son magasin de mathématicien des courbes aussi simples que possible. Il les essaie. Il se trouve que l’ellipse réunit assez bien les positions successives de cette planète. Mais tout le monde sait qu’elle est sollicitée à chaque instant par des forces attractives changeantes, qui font que les états de l’univers s’expriment dans la marche de cette planète, par une figure dont le détail parfait exigerait, pour être déterminé, un temps infini. Et le savant a eu raison en traçant d’avance une courbe simple, car c’est seulement par rapport à cette courbe simple qu’il pourra apercevoir ce qu’il appellera les perturbations. Et c’est ainsi qu’en compliquant peu à peu ses formes, le savant arrivera à exprimer de mieux en mieux la nature sans cesser d’être géomètre. Ainsi faisons-nous tous, et tous les jours, depuis que nous sommes nés. J’écris sur une table rectangulaire. Je pense qu’elle est rectangulaire, et tout aussitôt je pense qu’elle n’est pas exactement un rectangle : je perçois d’abord une droite, puis je distingue des détails et des sinuosités ; mais c’est seulement par rapport à une droite tracée que je puis percevoir le non-droit ; car si je commençais par percevoir en quoi le bord de cette table n’est pas droit, je n’aurais pas encore fini de la percevoir, et Zénon rirait avec raison de moi, puisque je voudrais achever, en les parcourant tous, l’énumération des détails de cette table, lesquels ne sont pas en nombre fini. Quelque chose que j’aie à connaître, il faut que j’en connaisse d’abord un schème abstrait et simplifié ; alors seulement je pourrai constater qu’il est insuffisant, le modifier et le compliquer ; et cela sans fin. En d’autres termes, si je n’ai pas le tout d’avance, je ne ferai pas le tout avec ses parties, car il faudrait d’abord faire les parties avec les parties, et je me perdrais dans le rien. Pareillement lorsque je conçois une action, je ne puis la concevoir en ajoutant les unes aux autres toutes ses parties, car je ne finirais jamais. Et cela est vrai aussi de l’action même ; si je faisais ses parties d’abord, et les parties de ses parties, je ne ferais rien. Aussi, en toute chose, je commence par finir. Par suite une distance toute simple, et déterminée uniquement par le point d’arrivée, est nécessairement antérieure aux choses qui la rempliront ; elle est déjà, par cela seul, la droite des géomètres. Platon disait donc bien que c’est par rapport à ce qui est droit et simple que ce qui ne l’est pas peut ne l’être pas. C’est toujours par l’idée et dans l’idée que je saisis la