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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

résistants, c’est-à-dire à l’imagination d’un mouvement actuellement impossible. Or, si l’on est supposé réduit au toucher, une telle imagination est impossible ou tout au moins vague et confuse, si elle n’est complétée par des mots. Au contraire, par la vue j’éprouve des sensations qui me permettent de me représenter des choses qui pourraient être touchées, mais qui pourtant ne peuvent pas l’être présentement, et c’est ainsi par la vue que la profondeur, ou l’autre dimension tactile, peut être objet d’intuition. Par le toucher seul, nous ne pouvons que nous heurter aux corps solides ; grâce à la vue, ou à quelque sens analogue à la vue, nous pouvons nous représenter des solides.

S’il est déjà difficile de parler des perceptions naturelles du toucher, que dire de la vue ? Dira-t-on que la perception d’étendue colorée dépend de la vue seule ? Cette notion d’étendue visuelle, assez commode dans l’enseignement élémentaire, mais purement provisoire et abstraite, ne résiste pas non plus à la critique. Si la vue, en effet, est réduite à elle seule, elle nous fera éprouver un grand nombre de sensations qui varient toujours quel que soit le mouvement que fait notre corps, et, en admettant que nous nous représentions quelques-unes de ces sensations comme possibles par certains mouvements du corps, ces mouvements ne seront jamais assujettis à une direction constante, car les corps que je vois n’arrêtent et ne contrarient jamais les mouvements de mes yeux. En réalité la notion de surface exige, pour être formée, l’exercice du toucher ; elle suppose un mouvement de direction constante accompagné d’une impression de résistance constante ; et une telle notion n’est possible que par la solidité de certains corps. Un être qui ferait avec une égale aisance tous les mouvements quelconques dans toutes les directions, ne formerait point l’idée d’une surface, ni d’une surface plane.

Afin de mieux comprendre l’insuffisance de ces notions, que ceux qui traitent de ces questions échangent pourtant comme une monnaie fiduciaire, considérons une affirmation qui satisfait beaucoup de gens : nous voyons, tant que la vue n’est pas éduquée par le toucher, tous les objets sur un plan. Si on leur demande sur quel plan, ils diront, je pense, que c’est sur un plan à peu près vertical situé à une distance mal déterminée, parce que c’est sur un plan de ce genre que les peintres ont l’habitude de nous représenter des hommes, des troupeaux et des arbres, par des couleurs juxtapo-