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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

aucune partie ne pouvant être ce que sont les autres. Par ce moyen le disciple viendra à comprendre qu’il faut quelque principe qui unisse réellement toutes ces parties distinctes et fasse des cinq images un objet. Pour mieux expliquer ce point, il serait à propos aussi de développer le beau problème de Molineux, de façon à bien faire comprendre qu’aucune analogie naturelle n’existe entre les images tactile et visuelle, qui puisse conduire un aveugle-né à reconnaître dans le cube qu’il voit l’image du cube qu’il a touché. Et en un mot on pourra montrer que l’unité de l’objet n’est pas un fait ; que ce qui est un fait c’est tout au plus la liaison des images les unes aux autres, et que liaison n’est pas identité. Que, par suite, l’unité de l’objet ne peut être que supposée ou posée en vertu de quelque exigence théorique, analogue à celles qui nous guident dans la construction des sciences ; car pour les besoins de la pratique, ou de l’action, une liaison empirique suffirait. Et ce sera un nouvel épisode de la discussion interminable entre les disciples de Platon et ceux de Protagoras.

Mais nous devons ici nous contenter moins aisément, et ne pas oublier qu’une philosophie de l’esprit est autre chose qu’une réfutation de l’empirisme. Il nous faut critiquer ces abstractions commodes que nous appelons l’image tactile et l’image visuelle ; montrer qu’il n’y a point du tout de fait donné avant l’idée, et spécialement qu’il n’y a pas eu d’abord l’étendue tactile et l’étendue visuelle, puis enfin l’étendue, mais qu’au contraire il n’y a maintenant l’étendue tactile ou l’étendue visuelle que parce qu’il y a eu d’abord l’étendue.

Supposons donc faite l’étude de nos différents sens, supposons que nous nous soyons efforcés de décrire leurs organes, et de déduire de cette structure les perceptions propres de chacun d’eux. Il reste à comprendre que cette méthode est tout à fait artificielle, même lorsqu’on l’applique au toucher, comme nous avons fait, quoique pourtant le toucher semble être de tous les sens, le plus riche en perceptions naturelles, et, comme on l’a dit souvent, l’éducateur de tous les autres. Les perceptions qu’aurait un être supposé réduit au seul toucher ne sont pas du tout concevables, et ce que l’on attribue au toucher seul est en réalité toujours dû à des sensations tactiles complétées par quelque représentation qui suppose la vue, l’ouïe ou l’odorat.

Dire par exemple que, par le toucher seul, nous percevons la solidité des corps, cela n’a pas beaucoup de sens. Que peut être en effet notre notion de la solidité si, en même temps que nous constatons