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L’IDÉE D’OBJET[1]



Une étude spéciale du goût, de l’odorat, de l’ouïe et de la vue, analogue à celle que nous avons faite déjà du toucher, retiendrait inutilement l’attention du lecteur, car nous le supposons instruit de la structure de nos organes et des variétés de sensations qui y correspondent. Une telle étude serait plutôt de nature à nous faire oublier ce qui est essentiel, c’est à savoir que les perceptions d’un sens supposé seul, fût-ce même le toucher, méritent à peine le nom de perceptions, et ne ressemblent pas du tout aux connaissances que nos différents sens, s’exerçant ensemble, nous permettent de former au sujet des choses qui nous entourent. Il est nécessaire de méditer un long temps là-dessus, si l’on veut comprendre ce que l’illustre Kant a expliqué, semble-t-il, trop sommairement, c’est à savoir que notre perception dépend bien plutôt des lois de notre esprit que des propriétés de nos sens.

Sans doute il est commode, et il est peut-être nécessaire lorsque l’on enseigne les premières notions de la science de l’esprit, de séparer les unes des autres les cinq images d’un objet, et de s’efforcer de décrire exactement chacune d’elles en n’y mettant rien de plus que ce que la structure et la fonction d’un sens isolé permettent d’expliquer. Il sera ensuite facile de montrer que la structure et les fonctions des sens ne suffisent pas à expliquer la liaison ou plutôt la réunion de ces cinq images en un seul objet. Platon sera ici un bon guide. Chacun de nos sens ne connaissant jamais ce que connaissent les autres sens, jamais ce qui est commun à tous les sens, comme l’égal ou l’inégal, l’un et le plusieurs, et, en bref, le monde unique que nous croyons connaître par leur moyen, jamais rien de tout cela ne sera connu par un des sens, ni par aucune autre partie du corps,

  1. Revue de Métaphysique et de Morale, no de novembre 1900 et de mai 1901.