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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

sur les astres et qu’il vient s’y ajouter une force de nature différente.

Dans ce second cas, on considérera la loi de Newton comme la définition de la gravitation. Ce sera l’attitude nominaliste. Le choix entre les deux attitudes reste libre, et se fait par des considérations de commodité, quoique ces considérations soient le plus souvent tellement puissantes qu’il reste pratiquement peu de chose de cette liberté.

Nous pouvons décomposer cette proposition : (1) les astres suivent la loi de Newton, en deux autres : (2) la gravitation suit la loi de Newton, (3) la gravitation est la seule force qui agisse sur les astres. Dans ce cas la proposition (2) n’est plus qu’une définition et échappe au contrôle de l’expérience ; mais alors ce sera sur la proposition (3) que ce contrôle pourra s’exercer. Il le faut bien puisque la proposition résultante (1) prédit des faits bruts vérifiables.

C’est grâce à ces artifices que par un nominalisme inconscient, les savants ont élevé au-dessus des lois ce qu’ils appellent des principes. Quand une loi a reçu une confirmation suffisante de l’expérience, nous pouvons adopter deux attitudes, ou bien laisser cette loi dans la mêlée ; elle restera soumise alors à une incessante revision qui sans aucun doute finira par démontrer qu’elle n’est qu’approximative. Ou bien on peut l’ériger en principe, en adoptant des conventions telles que la proposition soit certainement vraie. Pour cela on procède toujours de la même manière. La loi primitive énonçait une relation entre deux faits bruts et  ; on introduit entre ces deux faits bruts un intermédiaire abstrait , plus ou moins fictif (tel était dans l’exemple précédent l’entité impalpable de la gravitation). Et alors nous avons une relation entre et que nous pouvons supposer rigoureuse et qui est le principe ; et une autre entre et qui reste une loi revisable.

Le principe, désormais cristallisé pour ainsi dire, n’est plus soumis au contrôle de l’expérience, il n’est pas vrai ou faux, il est commode.

On a trouvé souvent de grands avantages à procéder de la sorte, mais il est clair que si toutes les lois avaient été transformées en principes, il ne serait rien resté de la science. Toute loi peut se décomposer en un principe et une loi, mais il est bien clair par là que, si loin que l’on pousse cette décomposition, il restera toujours des lois.

Le nominalisme a donc des bornes et c’est ce qu’on pourrait méconnaître, si on prenait à la lettre les assertions de M. Le Roy.