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H. POINCARÉ. — SUR LA VALEUR OBJECTIVE DE LA SCIENCE.

précise ; et ensuite que l’auteur ait semblé sous-entendre que le fait brut, n’étant pas scientifique, est en dehors de la science.

Enfin je ne puis admettre que le savant crée librement le fait scientifique puisque c’est le fait brut qui le lui impose.

Les exemples donnés par M. Le Roy m’ont beaucoup étonné. Le premier est emprunté à la notion d’atome. L’atome choisi comme exemple de fait ! j’avoue que ce choix m’a tellement déconcerté que je préfère n’en rien dire. J’ai évidemment mal compris la pensée de l’auteur et je ne saurais la discuter avec fruit.

Le second cas pris pour exemple est celui d’une éclipse où le phénomène brut est un jeu d’ombre et de lumière, mais où l’astronome ne peut intervenir sans apporter deux éléments étrangers, à savoir une horloge et la loi de Newton.

Enfin M. Le Roy cite la rotation de la Terre ; on lui a répondu : mais ce n’est pas un fait, et il a répliqué : c’en était un pour Galilée qui l’affirmait comme pour l’inquisiteur qui le niait. Toujours est-il que ce n’est pas un fait au même titre que ceux dont nous venons de parler et que leur donner le même nom, c’est s’exposer à bien des confusions.

Voilà donc quatre degrés :

1o Il fait noir, dit l’ignorant.

2o L’éclipse a eu lieu à neuf heures, dit l’astronome.

3o L’éclipse a eu lieu à l’heure que l’on peut déduire des tables construites d’après les lois de Newton, dit-il encore.

4o Cela tient à ce que la terre tourne autour du soleil, dit enfin Galilée.

Où est donc la frontière entre le fait brut et le fait scientifique ? À lire M. Le Roy on croirait que c’est entre le premier et le deuxième échelon, mais qui ne voit qu’il y a plus de distance du deuxième au troisième, et plus encore du troisième au quatrième.

Qu’on me permette de citer deux exemples qui nous éclaireront peut-être un peu.

J’observe la déviation d’un galvanomètre à l’aide d’un miroir mobile qui projette une image lumineuse ou spot sur une échelle divisée. Le fait brut c’est : je vois le spot se déplacer sur l’échelle, et le fait scientifique c’est : il passe un courant dans le circuit.

Ou bien encore : quand je fais une expérience, je dois faire subir au résultat certaines corrections, parce que je sais que j’ai dû commettre des erreurs. Ces erreurs sont de deux sortes, les unes sont