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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

vous serviez de mots. Et par là n’avez-vous pas été beaucoup plus « discursif » et par conséquent beaucoup plus loin de la vie et de la vérité, que l’animal qui vit tout simplement sans philosopher ? Ne serait-ce pas cet animal qui est le véritable philosophe ?

Pourtant, de ce qu’aucun peintre n’a pu faire un portrait tout à fait ressemblant, devons-nous conclure que la meilleure peinture soit de ne pas peindre ? Quand un zoologiste dissèque un animal, certainement il « l’altère ». Oui, en le disséquant, il se condamne à n’en jamais tout connaître ; mais en ne le disséquant pas, il se condamnerait à n’en jamais rien connaître et par conséquent à n’en jamais rien dire.

Certes il y a dans l’homme d’autres forces que son intelligence, personne n’a jamais été assez fou pour le nier. Ces forces aveugles, le premier venu les fait agir ou les laisse agir ; le philosophe doit en parler ; pour en parler, il doit en connaître le peu qu’on en peut connaître, il doit donc les regarder agir. Comment ? avec quels yeux ? sinon avec son intelligence ? Le cœur, l’instinct, peuvent la guider, mais non la rendre inutile ; ils peuvent diriger le regard, mais non remplacer l’œil. Que le cœur soit l’ouvrier et que l’intelligence ne soit que l’instrument, on peut y consentir. Encore est-ce un instrument dont on ne peut se passer, sinon pour agir, au moins pour philosopher. C’est pour cela qu’une philosophie vraiment anti-intellectualiste est impossible. Peut-être devrons-nous conclure au primat de l’action ; toujours est-il que c’est notre intelligence qui conclura ainsi ; en cédant le pas à l’action, elle gardera de la sorte la supériorité du roseau pensant. C’est là aussi un « primat » qui n’est pas à dédaigner.

Qu’on me pardonne ces courtes réflexions et qu’on me pardonne aussi de les faire si courtes et d’avoir à peine effleuré la question. Le procès de l’intellectualisme n’est pas le sujet que je veux traiter : je veux parler de la science et pour elle, il n’y a pas de doute ; par définition, pour ainsi dire, elle sera intellectualiste ou elle ne sera pas. Ce qu’il s’agit précisément de savoir, c’est si elle sera.

§ 2. — La Science, Règle d’action.

Pour M. Le Roy, la science n’est qu’une règle d’action. Nous sommes impuissants à rien connaître et pourtant nous sommes embarqués, il nous faut agir, et à tout hasard, nous nous sommes