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Le brigadier Frédéric.

Tantôt les uns, tantôt les autres nous demandaient la route pour Saverne, Metting, Lutzelstein ; ils descendaient à la source en bas du pont et s’abreuvaient dans une de leurs écuelles ou dans le creux de la main.

Tous les jours ces passages recommençaient. Je me creusais la cervelle pour savoir ce que ces étrangers venaient faire chez nous dans un moment si difficile, où les vivres étaient si rares, où l’on ne savait ce qu’on mangerait le lendemain. Ils n’en soufflaient pas un mot et poursuivaient leur voyage, sous la protection des landwehr qui remplissaient le pays. Nous avons même su par la suite qu’ils participaient aux réquisitions, ce qui leur permettait de faire des économies et de se remonter l’estomac pendant la route.

Or, Georges, tous ces bohémiens d’une nouvelle espèce, dont l’air misérable nous faisait pitié, même au milieu de nos chagrins, étaient les fonctionnaires que l’Allemagne envoyait pour nous administrer et nous gouverner : percepteurs, contrôleurs, greffiers, maîtres d’école, gardes forestiers, qu’est-ce que je sais, moi ? Des gens qui dès le mois de septembre et d’oc-