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Le brigadier Frédéric.

ron avaient amené de tout en abondance : vin, kirch, pain blanc, pâtés, sucre, café, cognac, et naturellement vers minùit, après avoir couru dans la neige, bu, mangé, crié, chanté, la partie de plaisir prenait une belle tournure.

Nous autres, nous étions dans la cuisine, rien ne nous manquait non plus. La porte de la salle restant ouverte pour renouveler l’air, nous entendions tout ce que les invités se disaient, d’autant plus qu’ils criaient comme des aveugles.

J’avais remarqué dans le nombre un grand gaillard sec, le nez crochu, les yeux noirs, la moustache fine, bien serré dans sa veste et les jambes nerveuses dans ses hautes guêtres de cuir, qui maniait son petit fusil avec une justesse singulière ; je m’étais dit :

« Celui-là, Frédéric, n’a pas l’habitude de rester assis devant un bureau et de se chauffer les mollets auprès du poêle ; c’est bien sûr un soldat, un officier supérieur ! »

Il était posté près de moi le matin, et ses deux coups de feu n’avaient pas manqué. Je le considérais donc comme un vrai chasseur, et il l’était. Il savait aussi boire sec, car vers minuit,