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Le brigadier Frédéric.

manteau après le service, je cours dans les rues au hasard, parmi ces gens tous occupés de leurs affaires, qui ne font attention à personne. Je vais au loin, tantôt vers l’Arc de Triomphe, tantôt vers le Jardin des Plantes, et je reviens accablé de fatigue. Je m’endors, évitant de songer aux beaux jours d’autrefois, car ces souvenirs me font battre le cœur, même en rêve, et tout à coup je m’éveille couvert de sueur, en m’écriant :

« C’est fini !… tu n’as plus de fille… tu es seul au monde !… »

Je suis forcé de me lever, d’allumer ma lampe et d’ouvrir la fenêtre pour me calmer un peu, m’apaiser et me faire une raison.

Quelquefois aussi je rêve que je suis à la maison forestière avec Jean et Marie-Rose. Je les vois… je leur parle… nous sommes heureux !… Mais quand je m’éveille…

Tiens, laissons cela, ce qui est fini ne peut plus revivre !…

Tout ira de la sorte tant que cela pourra. Je ne serai pas enterré parmi les anciens, ni près de ma fille. Nous serons tous dispersés ! Cette idée me fait aussi de la peine.