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Le brigadier Frédéric.

L’étang de la Fromülhe était couvert de glace ; le moulin et la scierie plus bas ne marchaient plus. Personne, depuis la veille, n’avait suivi mon sentier, tout semblait désolé ; durant trois heures je ne vis pas une âme.

Alors me rappelant la fumée des charbonnières, le tic-toc des bûcherons travaillant dans les coupes, ébranchant les arbres, entassant les bûches le long des chemins forestiers, même en plein hiver, toute cette vie joyeuse d’autrefois, ce gain qui donne la nourriture et le bonheur aux moindres hameaux, je me disais que les bandits capables de troubler un pareil ordre, pour s’attirer indûment le fruit du travail des autres, méritaient la corde.

Et de loin en loin, au milieu du silence, voyant passer un épervier sur ses larges ailes, les griffes repliées sous le ventre, et poussant son cri de guerre, je pensais :

« Voilà les Prussiens !… Aujourd’hui ils dévorent tout. Ils ont planté leurs griffes sur les Allemands ; ils leur ont donné des officiers qui les triquent ; au lieu de travailler, ces gens seront forcés de manger leur dernier liard à la guerre, et les autres auront toujours le bec et les ongles