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LE JUIF POLONAIS.

madame Mathis, toujours de la neige. (Il pose son fusil derrière l’horloge.)

Catherine. — Encore au village, Heinrich ?

Heinrich. — Mon Dieu oui ; la veille de Noël, il faut bien s’amuser un peu.

Catherine. — Vous savez que votre sac de farine est prêt, au moulin ?

Heinrich. — C’est bon, c’est bon, je ne suis pas pressé ; Walter le chargera tout à l’heure sur sa voiture.

Catherine. — L’anabaptiste est encore ici ? Je croyais l’avoir vu partir depuis longtemps.

Heinrich. — Non, non ! Il est au Mouton-d’Or,à vider bouteille. Je viens de voir sa voiture devant l’épicier Harvig, avec le sucre, le café, la cannelle tout couverts de neige. Hé ! hé ! hé !… C’est un bon vivant… Il aime le bon vin… il a raison. Nous partirons ensemble.

Catherine. — Vous n’avez pas peur de verser ?

Heinrich. — Bah ! bah ! vous nous prêterez une lanterne. Qu’on m’apporte seulement une chopine de vin blanc ; vous savez, de ce petit vin blanc de Hünevir ? (Il s’assied en riant.)

Catherine, appelant. — Loïs ?

Loïs, de la cuisine. — Madame ?

Catherine. — Une chopine de Hünevir, pour M. Heinrich.

loïs, de même. — Tout de suite.

Heinrich. — Ce petit vin-là réchauffe ; par un temps pareil, il faut ça.

Catherine. — Oui, mais prenez garde, il est fort tout de même.

Heinrich. — Soyez tranquille, tout ira bien. Mais dites donc, madame Mathis, notre bourgmestre, on ne le voit pas… Est-ce qu’il serait malade ?

Catherine. — Il est parti pour Ribeauvillé, il y a cinq jours.


II


Les précédents, LOIS.

Loïs, entrant. — Voici la bouteille et un verre, maître Heinrich.

Heinrich. — Bon, bon ! (Il verse.) Ah ! le bourgmestre est à Ribeauvillé ?

catherine. — Oui, nous l’attendons pour ce soir ; mais allez donc compter sur les hommes, quand ils sont dehors.

heinrich. — Il est bien sûr allé chercher du vin ?

catherine. — Oui.

heinrich. — Hé ! vous pouvez bien penser que votre cousin Bôth ne l’aura pas laissé repartir tout de suite. Voilà quelque chose qui me conviendrait, d’aller de temps en temps faire un tour dans les pays vignobles. J’aimerais mieux ça, que de courir les bois. — À votre santé, madame Mathis.

catherine, à Lois. — Qu’est-ce que tu écoutes donc là, Lois ? Est-ce que tu n’as rien à faire ? (Lois sort sans répondre.) Mets de l’huile dans la petite lanterne, Henrich l’emportera.


III


Les précédents, moins LOIS.

catherine. — Il faut que les servantes écoutent tout ce qui se passe !

heinrich. — Je parie que le bourgmestre est allé chercher le vin de la noce ?

catherine, riant. — C’est bien possible.

heinrich. — Oui… tout à l’heure encore, au Mouton-d’Or, on disait que Mlle Mathis et le maréchal des logis de gendarmerie Christian allaient bientôt se marier ensemble. Ça m’était difficile à croire. Christian est bien un brave et honnête homme, et un bel homme aussi, personne ne peut soutenir le contraire ; mais il n’a que sa solde, au lieu que Mlle Annette est le plus riche parti du village.

catherine. — Vous croyez donc, Heinrich, qu’il faut toujours regarder à l’argent ?

heinrich. — Non, non, au contraire ! Seulement, je pensais que le bourgmestre…

catherine. — Eh bien ! voilà ce qui vous trompe, Mathis n’a pas seulement demandé : — Combien avez-vous ? — Il a dit tout de suite : — Pourvu qu’Annette soit contente, moi je consens !

heinrich. — Et mademoiselle Annette est contente ?

catherine. — Oui, elle aime Christian. Et comme nous ne voulons que le bonheur de notre enfant, nous ne regardons pas à la richesse.

heinrich. — Si vous êtes tous contents, moi, je suis content aussi ! Je trouve que M. Christian a de la chance, et je voudrais bien être à sa place.


IV


Les précédents, NICKEL.

nickel, entrant, un sac de farine sur la tête. — Votre sac de farine, maître Heinrich ; bien pesé !

heinrich. — C’est bon, Nickel, c’est bon, mets-le dans un coin.

catherine, allant à la porte de la cuisine. — Loïs, tu peux dresser la soupe de Nickel.