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L’ILLUSTRE DOCTEUR MATHÉUS.

Il est beau, n’est-ce pas ? (Page 30.)

pour arranger les plats, enlever les assiettes et remplacer les bouteilles vides, et Orchel apportait les plats de la cuisine.

La grande salle s’animait de plus en plus ; tous les convives, ignorant la mission sublime de l’illustre philosophe, causaient entre eux de choses indifférentes, de la foire, de la récolte, des prochaines vendanges. On mangeait, on riait, on buvait, on appelait les servantes, qui montaient et descendaient à la hâte dans l’escalier tournant, avec des plats de choucroute, des cervelas, des saucisses fumantes, des gigots rôtis, des canards nageant dans leur jus, et des petits cochons de lait tout croustillants et d’un beau jaune doré.

Au milieu de cette animation joyeuse, maître Frantz croyait entendre ces paroles prophétiques : « Honneur ! gloire ! honneur au grand Mathéus ! Gloire éternelle à l’inventeur de la pérégrination des âmes ! Gloire ! gloire ! honneur ! gloire ! honneur au grand Mathéus ! Gloire éternelle à l’inventeur de la pérégrination des âmes ! » Et, dans une muette extase, il se penchait au dos de sa chaise, laissait tomber sa fourchette et prêtait l’oreille à ces voix lointaines ; mais, pour dire la vérité, ce n’était que l’effet du vin de Wolxheim et le bourdonnement de la salle.

Il était environ deux heures et l’instant du dessert était arrivé, cet instant où tout le monde parle à la fois sans écouter personne, où chacun se trouve de l’esprit, et où tantôt l’un, tantôt l’autre se met à rire sans savoir pourquoi.