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D’UN JOUEUR DE CLARINETTE.


Qu’il prenne garde !… (Page 18.)

tout à l’heure encore, deux vieilles, qui traversaient l’allée des houx derrière le hangar, disaient. « Le canonnier a fait ceci ! le canonnier a fait cela ! » C’est étonnant, étonnant ! »

Je vis alors qu’il pensait encore à ce que le père Mériâne nous avait dit la veille aux Trois-Roses, et cela me surprit beaucoup, car l’oncle Conrad ne songeait d’habitude qu’à ses propres affaires, et non à celles des autres.

Margrédel aussi parut étonnée.

« De quel canonnier est-ce que tout le monde parle ? fit-elle.

— De ce grand Yéri-Rans, qui vient de finir son congé, dit-il, et qui se donne l’air d’être l’homme le plus fort du pays.

— Le fils du vieux Yéri du Kirschberg ? ah ! je le connais bien, dit Margrédel toute réjouie. C’est un beau garçon, grand et tout blond, n’est-ce pas, mon père ? Il me semble encore le voir, comme il y a aujourd’hui sept arns, la première fois que vous m’avez conduite à la fête. Il dansait dans la Madame-Hutte, et tout le monde disait : « Quel beau garçon ! comme il danse bien ! Il n’y en a pas un au village pour danser comme le fils du vieux Yéri. » Moi, j’étais encore bien jeune dans ce temps-là, je me tenais derrière les autres avec la tante Christine, mais j’aurais bien voulu danser tout de même ; mes jambes fourmillaient. Je regardais tout le monde qui s’amusait, et personne ne pensait à moi. Voilà que tout à coup Yéri, qui se promenait autour de la salle, me voit, et aussitôt il s’arrête en disant : « Faites place ! faites place ! » Je ne savais pas ce