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LE REQUIEM DU CORBEAU.

Zacharias se mit en faction derrière la porte. (Page 66.)


matin pour aller voir ses malades, et qu’il passait, trottant menu, devant la maison de mon oncle, je ne pouvais m’empêcher de considérer avec une vague terreur les grandes basques de son habit flottant à droite et à gauche.

Telles sont les plus vives impressions de mon enfance ; mais ce qui me charme le plus dans ces lointains souvenirs, ce qui, par-dessus tout, se retrace à mon esprit quand je rêve à cette chère petite ville de Bingen, c’est le corbeau Hans, voltigeant par les rues, pillant l’étalage des bouchers, saisissant tous les papiers au vol, pénétrant dans les maisons, et que tout le monde admirait, choyait, appelait : « Hans ! » par ci, « Hans ! » par là.

Singulier animal, en vérité ; un jour il était arrivé en ville l’aile cassée ; le docteur Hâselnoss lui avait remis son aile, et tout le monde l’avait adopté. L’un lui donnait de la viande, l’autre du fromage. Hans appartenait à toute la ville, Hans était sous la protection de la foi publique.

Que j’aimais ce Hans, malgré ses grands coups de bec ! Il me semble le voir encore sauter à deux pattes dans la neige, tourner légèrement la tête, et vous regarder du coin de son œil noir, d’un air moqueur. Quelque chose tombait-il de votre poche, un kreutzer, une clef, n’importe quoi, Hans s’en saisissait et l’emportait dans les combles de l’église. C’est là qu’il avait établi son magasin, c’est là qu’il cachait le fruit de ses rapines ; car Hans était malheureusement un oiseau voleur.