Page:Erckmann-Chatrian - Contes et romans populaires, 1867.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
LE BLANC ET LE NOIR.


Théodore Blitx est ici, me dis-je. (Page 51.)


Blitz, la tête penchée, semblait prêter l’oreille à quelque bruit du dehors :

« Chut ! fit-il en nous regardant, chut ! »

Il levait le doigt, et l’expression de sa physionomie était si saisissante, que tous nous écoutâmes avec un sentiment de crainte indéfinissable.

Au même instant, de lourds clapotements se firent entendre dans le ruisseau débordé, une main chercha la clanche de la porte, et le maître de chapelle nous dit d’une voix frémissante :

« Soyez calmes… écoutez et voyez !… Que le Seigneur nous soit en aide ! »

La porte s’ouvrit, et Zaphéri Mutz parut.

Quand je vivrais mille ans, la figure de cet homme serait toujours présente à ma mémoire. Il est là… je le vois ! Il s’avance en trébuchant, tout pâle, les cheveux pendants sur les joues, l’œil terne, vitreux, la blouse collée aux reins, un gros bâton au poing. Il nous regarde sans nous voir, comme en rêve. Un ruisseau de fange serpente derrière lui. Il s’arrête, tousse et dit tout bas, comme se parlant à lui-même :

« M’y voilà ! qu’on m’arrête… qu’on me coupe le cou… j’aime mieux ça »

Puis se réveillant, et nous regardant l’un après l’autre avec un mouvement de terreur :

« J’ai parlé ! Qu’est-ce que j’ai dit ? Ah ! le bourgmestre… le juge Ulmett !… »

Il avait fait un bond pour fuir ; mais en face de la nuit, je ne sais quel mouvement d’épouvante le rejeta dans la salle.