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MAITRE DANIEL ROCK.

« Voilà, dit-il, comment Hugues le borgne… » (Page 150.)

et vaquer aux occupations de son moulin sans entrain et comme par habitude.

Le fait est qu’il n’avait pas de haine contre son vieux camarade Daniel, et qu’il ne pouvait concevoir comment celui-ci, sans motifs personnels, à propos d’une question générale, étrangère aux intérêts de leurs familles, avait interdit sa porte à tous les siens. Ce procédé le navrait jusqu’au fond de l’âme ; d’autant plus que Ludwig maigrissait à vue d’œil et passait des heures entières à la lucarne du grenier, pour tâcher de voir flotter un ruban de Thérèse à la balustrade de l’escalier, ou l’une de ses mains arroser les pots de fleurs de sa fenêtre, occupation peu récréative, surtout quand on avait l’espoir légitime et très-prochain de voir les gens de plus près.

M. le curé fut étonné de l’air grave et presque solennel du meunier.

« Bonjour, maître Frantz, lui dit-il, quelle nouvelle ? Je vois que vous avez quelque chose à me raconter.

— C’est vrai, monsieur le curé, j’ai quelque chose à vous dire en particulier. »

À ce début, le bon père Nicklausse, croyant deviner l’objet de la conversation, s’écria :

« Au nom du ciel, mon cher Bénédum, je vous en supplie, ne me parlez plus du mariage de Ludwig et de Thérèse ! C’est du temps perdu… Vous ne sauriez croire toutes les peines que je me suis données inutilement pour vous raccommoder avec Daniel… Il ne veut rien entendre… il m’a même menacé, si j’y revenais, de ne plus me revoir qu’à l’église ;