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HISTOIRE D’UN CONSCRIT DE 1815.

« C’est toi, Joseph ? Tiens, tu n’es pas mort ? » (Page 75.)


amenaient des vaches et des chevaux d’une étable, tandis qu’un vieillard, devant la porte, levait les mains au ciel, et que cinq ou six de ces mauvais gueux entouraient le meunier tout pâle et les yeux hors de la tête.

Tout cela : le moulin, la digue, les fenêtres défoncées, les femmes qui se sauvent, nos soldats en bonnet de police, faits comme de véritables bandits, le vieux qui les maudit, et les vaches qui secouent la tête, pour se débarrasser de ceux qui les emmènent, pendant que d’autres les piquent derrière avec leurs baïonnettes… tout est là… devant moi… je crois encore le voir !

« Ça, dit le fourrier Poitevin, ce sont des maraudeurs… Nous ne sommes plus loin de l’armée.

— Mais c’est abominable ! m’écriai-je ; ce sont des brigands !

— Oui, répondit le fourrier, c’est contraire à la discipline ; si l’Empereur le savait, on les fusillerait comme des chiens. »

Nous traversions alors le petit pont ; et comme on venait de percer une des tonnes derrière la charrette, les soldats s’empressaient autour, avec une cruche, en buvant à la ronde. Cette vue révolta le fourrier, qui s’écria d’un ton majestueux :

« De quelle autorité exercez-vous ce pillage ? »

Plusieurs tournèrent la tête, et, voyant que nous n’étions plus que trois, parce que les autres avaient suivi leur chemin sans s’arrêter, un d’eux répondit : « Hé ! vieux farceur… tu veux ta part du