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ROMANS NATIONAUX

viendrais ; pourtant le bonheur de respirer l’air du pays et de revoir ceux que j’aimais me sauva.

C’est environ six mois après, le 8 juillet 1814, que nous fûmes mariés, Catherine et moi. M. Goulden, qui nous aimait comme ses enfants, m’avait mis de moitié dans son commerce ; nous vivions tous ensemble dans le même nid ; enfin, nous étions les plus heureux du monde.

Alors les guerres étaient finies, les alliés retournaient chez eux d’étape en étape, l’Empereur était parti pour l’île d’Elbe, et le roi Louis XVIII nous avait donné des libertés raisonnables. C’était encore une fois le bon temps de la jeunesse, le temps de l’amour, le temps du travail et de la paix. On pouvait espérer en l’avenir, on pouvait croire que chacun, avec de la conduite et de l’économie, arriverait à se faire une position, à gagner l’estime des honnêtes gens, et à bien élever sa famille, sans crainte d’être repris par la conscription sept et même huit ans après avoir gagné.

M. Goulden, qui n’était pas trop content de voir revenir les anciens rois et les anciens nobles, pensait pourtant que ces gens avaient assez souffert dans les pays étrangers, pour comprendre qu’ils n’étaient pas seuls au monde et respecter nos droits ; il pensait aussi que l’empereur Napoléon aurait le bon sens de se tenir tranquille… mais il se trompait : — les Bourbons étaient revenus avec leurs vieilles idées, et l’Empereur n’attendait que le moment de prendre sa revanche.

Tout cela devait nous amener encore bien des misères, et je vous les raconterais avec plaisir, si cette histoire ne me paraissait assez longue pour une fois. Nous en resterons donc ici jusqu’à nouvel ordre. Si des gens raisonnables me disent que j’ai bien lait d’écrire ma campagne de 1813, que cela peut éclairer la jeunesse sur les vanités de la gloire militaire, et lui montrer qu’on n’est jamais plus heureux que par la paix, la liberté et le travail, eh bien, alors je reprendrai la suite de ces événements, et je vous raconterai Waterloo 1


FIN DU CONSCRIT DE 1813.


Madame Thérèse, ou Les Volontaires de 92, est l’histoire d’une vivandière de l’armée de la Moselle, laissée pour morte sur le champ de bataille d’Anstatt, recueillie et sauvée par un brave docteur allemand. Ce livre ressuscite des temps glorieux : — il nous fait assister à la lutte de trente mille volontaires de Hoche, contre les quatre-vingt mille soldats de Brunswick et de Wurmser ; — un souffle patriotique l’anime d’un bout à l’autre. On croirait, en le lisant, vivre au milieu de ces hommes intrépides, de ces immortels volontaires en guenilles, qui fondèrent pour tous l’égalité des droits, et sauvèrent la France de l’invasion. Madame Thérèse après le Conscrit, c’est la guerre sainte de la liberté, après les inutiles batailles de la conquête.


L’Invasion, qui paraîtra après Madame Thérèse ou les Volontaires de 92, retrace la lutte des montagnards vosgiens contre les alliés. Quatre cent cinquante mille Allemands, Suédois et Russes ont franchi le Rhin. Les débris de notre armée, décimés par le typhus et réduits à des cadres, battent en retraite sur toute la ligne. Ils se retirent en Lorraine, abandonnant les défilés des Vosges, qu’il était pourtant si facile de défendre. L’ennemi est au pied des montagnes. Il va donc franchir, sans brûler une cartouche, ces Thermopyles françaises. Mais non ! À la voix du sabotier Hullin, un ancien volontaire de 92, — tous les montagnards se lèvent : schlitteurs, flotteurs, bûcherons, ségars, contrebandiers, tout le monde accourt. — Quelle bataille furieuse dans les gorges bleuâtres, ou grouillent comme des fourmilières, les vestes blanches des Autrichiens ! Pendant quatre jours, cette poignée de braves gens arrêta les soixante mille hommes de Schwarizenbourg. — Malheureusement, la trahison se met de la partie… l’héroïsme succombe sous le nombre, et les régiments croates débouchent en Lorraine.


Waterloo, qui se relie au Conscrit de 1813, est l’histoire finale, le dernier acte du grand drame militaire de l’Empire. Joseph Bertha, rentré dans ses foyers après le désastre du Leipzig, a épousé Catherine. On respire avec bonheur après les guerres épouvantables. Ou jouit de la, tranquillité, de la paix. On serait heureux, sans les folies de la réaction légitimiste, qui veut tout rétablir comme avant 1789. Tout à coup l’Empereur débarque à Cannes. Il est à Grenoble, il est à Lyon, il est à Paris ; adieu, la paix, le commerce, la tranquillité, la douce vie de famille. Il faut reprendre le sac et partir pour Waterloo. La première partie de ce livre est d’une exactitude, d’une vérité historique incroyable. C’est un tableau complet de la restauration de 1814. La seconde partie est exclusivement militaire : les marches et contre-marches pour dérouter l’ennemi, l’entrée en campagne, la défection de Bourmont, l’étonnement et la joie des Belges à la vue des troupes françaises, la bataille de Ligny contre les Prussiens, où l’on charge en criant : — Pas de quartier ! — l’orage de la nuit, le manque de vivres, le relèvement des blessés et des morts qui s’éleva jusqu’à trois et quatre pieds dans les rues du village, — la marche sous la pluie battante, — la nuit passée dans les blés, en arrière du mont Saint-Jean, au milieu des terres où l’on enfonce jusqu’aux genoux, sans allumer de feux, de crainte de faire décamper les Anglais ; puis le lendemain la grande, la terrible bataille de Waterloo et la déroute, la poursuite des Prussiens qui sabrent les blessés, le pillage des fourgons de vivres, la défense de Paris, la retraite sur la Loire, la désertion, le retour de Louis XVIII et les vengeances ;… tout passe devant les yeux du lecteur comme un rêve terrible.

Waterloo, c’est la bataille du désespoir.