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démêle, dans chaque perception complexe, les perceptions simples et particulières ; il leur donne de la permanence en les nommant, il les réunît en groupe et leur affecte un nom qui lie toute la collection. Par divers points de vue, il décompose ensuite ce groupe artificiel en éléments qui n’ont point de modèle extérieur ; et au, moyen de signes qu’il leur impose, il les prépare à toutes les combinaisons de l’intelligence et de la pensée. Tel est le caractère de l’abstraction de l’esprit ou de la réflexion qui pénètre plus ou moins dans l’exercice spontané des sens et de la conscience.

Jusqu’ici nous ayons considéré la faculté d’abstraire en elle-même ou dans ses instruments ; il nous reste à la considérer dans la nature des objets qu’elle tire de l’ordre réel pour les faire passer dans l’ordre intellectuel ; ce second rapport va nous donner lieu de fixer la distinction des sciences d’observation et des sciences de raisonnement, et le caractère des sciences physiques et des sciences morales. Les faits de la nature et les faits de l’esprit sont d’un ordre entièrement différent. Les premiers sont variables et d’une multiplicité que l’observation peut rarement apprécier ; les seconds restent fixes du moment qu’ils sont enregistrés, et leur nombre est nécessairement connu. Pour qu’un fait naturel puisse devenir un fait intellectuel, il faut donc que le nombre des circonstances qui l’environnent soit donné et déterminé, que ces circonstances soient invariables ou du moins que leur variation puisse être appréciée, que le degré d’intensité de leur action soit susceptible d’être évalué, et que chacun de ces éléments puisse être amené à un tel état de simplicité qu’il soit représenté par des signes invariables. Alors en opérant sur les signes, on opère sur les faits, et l’on arrive à des résultats constants, absolus, et d’une évidence incontestable. Ainsi, considérant les corps comme des unités, nous les soumettons au calcul arithmétique ; les considérant dans leurs dimensions, nous en tirons les constructions géométriques, les degrés du mouvement et ses directions nous donnent la mécanique ; le mouvement et les inflexions de la lumière, l’optique ; la propagation et l’intensité du son, l’acoustique ; l’indication des événements d’après un nombre de causes connu, le calcul des probabilités. Les faits qui se dérobent au contraire à la fixité de l’attention, et qui ne


peuvent se prêter à une détermination exacte de signes, ne sauraient passer entièrement du domaine de la nature dans celui de l’esprit ; ils ne sauraient tous être évalués en idées précises et déterminées. Ceux-ci ont pour fondement l’analogie, comme dans les sciences morales et politiques et dans presque toutes les branches des sciences physiques, ceux-là ont pour fondement l’abstraction. La limite qui sépare les sciences abstraites des sciences analogiques, est donc profondément tracée. Leur identité ne pourrait être que dans une combinaison artificielle de signes, qui, ne pénétrant point au fond des choses, offrirait la précision et la liaison dans les mots et nullement dans les idées. Ce serait l’erreur des esprits forts et méditatifs, habiles à manier le raisonnement. C’est celle de Hobbes, de Condillac, de Condorcet.

Un écueil d’un autre genre attend le métaphysicien : s’il se livre aux recherches physiques, rarement il séparera les phénomènes de la pensée de l’activité des organes, et le sentiment physique du sentiment moral. S’il se plait aux opérations et aux combinaisons de signes, il voudra ramener au langage tous les procédés de l’entendement. S’il est préoccupé de l’indépendance de la pensée, il s’efforcera de l’affranchir des organes de la sensibilité, et n’attachera de réalité qu’aux phénomènes du moi intérieur. Il abstraira et coordonnera ses abstractions selon la diversité de ses études. Il ne méconnaîtra point toutefois l’existence distincte de la sensibilité organique, de la sensibilité morale, de l’intelligence, du langage ; mais il s’efforcera de résoudre ces principes en un principe unique, selon les habitudes de son esprit, le cours de ses idées et l’importance qu’il accorde à la nature de leur objet. Il confondra donc les procédés du seps intiaie et ceux de l’observation physique ; il ne remarquera pas que les mouvements de la sensibilité physique sont aveugles ou excités par la connaissance des choses, et que ceux de la sensibilité morale, toujours éclairés, le sont par la connaissance des personnes ; que l’intelligence a sa nature propre et ses lois tantôt dépendantes du langage, tantôt indépendantes ; qu’il n’y a point d’assimilation entre ces divers principes qu’une attention naïve distingue, et qu’ils ne peuvent être subordonnés à un seul que par un effort de la réflexion. Cette confusion systématique