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quelle assurance ont-ils, & peuvent-ils avoir qu’il ne les traitera pas encore de même dans l’avenir ? Sur toutes ces questions qu’on ne peut résoudre, ainsi que beaucoup d’autres, que par des principes philosophiques qui ne sont pas publici saporis, voyez ce que nous dirons à l’article Manichéisme, & sur-tout lorsque nous parlerons des manichéens de l’Arménie qu’on appella Pauliciens ].

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BERKELÉISME, (philosophie de Berkeley,) ou plus généralement philosophie des Idéalistes. Hist. de la philosophie moderne. On appelle Idéalistes, ces philosophes qui, n’ayant conscience que de leur existence & des sensations qui se succedent au dedans d’eux-mêmes, n’admettent pas autre chose. Système extravagant, dit très-bien un philosophe, qui ne pouvoit, ce me semble, devoir sa naissance qu’à des aveugles ; systême qui à la honte de l’esprit humain & de la philosophie, est le plus difficile à combattre, quoique le plus absurde de tous. Il est exposé avec autant de franchise que de clarté dans trois dialogues du docteur Berkeley, évêque de Cloane.

L’auteur expose dans le premier dialogue, le sentiment du vulgaire & celui des philosophes, sur les qualités secondaires & premières, la nature & l’existence des corps ; & il prétend prouver en même tems l’insuffisance de l’un & de l’autre.

Le second dialogue est employé à exposer le sentiment de l’auteur sur le même sujet, savoir, que les choses corporelles ont une existence réelle dans les esprits qui les apperçoivent, mais qu’elles ne sauroient exister hors de tous les esprits à la fois, même de l’esprit infini de Dieu ; & que par conséquent la matiere, prise suivant l’acception ordinaire du mot, non seulement n’existe point, mais seroit même absolument impossible.

L’objet du troisième dialogue est de répondre aux difficultés auxquelles le sentiment qu’on a établi dans les dialogues précédens, peut être sujet, de l’éclaircir de plus en plus, d’en développer toutes les heureuses conséquences, enfin de faire voir qu’étant bien entendu, il revient aux notions les plus communes.

Avant d’exposer plus au long & avec tous les développemens nécessaires pour en faciliter l’intelligence, le systême de Berkeley, nous en donnerons ici une idée générale & sommaire.

Selon ce subtil raisonneur, nous ne pouvons connoître l’existence des corps, c’est-à-dire des substances solides figurées, &c. que par les sens ou par la raison. Par nos sens, nous avons seulement la connoissance de nos sensations & de nos idées. Ils ne nous montrent pas que les choses existent hors de l’esprit telles que nous les appercevons. Si donc nous avons connoissance de l’existence des corps extérieurs, il faut que ce soit la raison qui nous en assure, d’après la perception des sens. Mais comment la raison nous montrera-t-elle l’existence des corps hors de notre esprit ? Les partisans même de la matière nient qu’il puisse y avoir aucune connexion entre-elle & nos idées. En effet on convient des deux côtés ( & ce qui arrive dans les songes, dans les phrénésies, les délires, les extases, en est une preuve incontestable), que nous pouvons être affectés de toutes les idées que nous avons, quoiqu’il n’existe point hors de nous de corps qui leur ressemblent. De là il est évident que la supposition des corps extérieurs n’est pas nécessaire pour la production de nos idées. Si donc nous avons tort de juger qu’il y ait des corps, c’est notre faute, puisque dieu nous a fourni un moyen de suspendre notre jugement.

En accordant aux matérialistes l’existence des corps extérieurs, de leur propre aveu ils n’en connoîtront pas davantage comment nos idées se produisent, puisqu’ils avouent eux mêmes qu’il est impossible de comprendre comment un corps peut agir sur un esprit, ou comment il se peut faire qu’un corps y imprime aucune idée : ainsi la production des idées & des sensations dans notre esprit, ne peut pas être la raison pour laquelle nous supposons des corps ou des substances corporelles, puisque cela est aussi inexplicable dans cette supposition que dans la contraire. En un mot, quoiqu’il y eût des corps extérieurs, il nous seroit cependant impossible de savoir comment nous les connoissons ; & s’il n’y en avoit pas, nous aurions cependant la même raison de penser qu’il y en a, que nous avons maintenant.

Il ne sera pas inutile de réfléchir un peu ici sur les motifs qui portent l’homme à supposer l’existence des substances matérielles. C’est ainsi que voyant ces motifs cesser & s’évanouir par dégrés, nous pourrons nous déterminer à refuser le consentement qu’ils nous avoient arraché. On a donc cru d’abord que la couleur, la figure, le mouvement & les autres qualités sensibles existoient réellement hors de l’esprit ; & par cette même raison il sembloit nécessaire de supposer une substance ou sujet non pensant, dans lequel ces qualités existassent, puisqu’on ne pouvoit pas concevoir qu’elles existassent par elles-mêmes. Ensuite étant convaincu que les couleurs, les sons & les autres qualités secondaires & sensibles n’avoient point leur existence hors de l’esprit, on a dépouillé ce sujet de ces qualités, en y laissant seulement les premières, comme la figure, le mouvement &c., qu’on a conçu toujours exister hors de l’esprit,