Page:Encyclopédie méthodique - Philosophie - T1, p1, A-B.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


substituer à une lumière vive & qui éclairoit un vaste horizon, une lueur foible & qui colore à peine les objets placés dans la sphère de son activité : ut lumen phæbi dulcius esse solet jamjam cadentis.

Il résulte de ces différentes observations que cet article d’ailleurs très-curieux, très-intéressant même par la profondeur & la variété des matières qui y sont traitées, ne vaut pas une lecture réfléchie de Bacon & ne donne même qu’une très-foible idée de son génie dont l’étendue, la sagacité, & l’élévation ne se montrent réellement que dans ses ouvrages. C’est dans cette source vive & pure que le lecteur doit chercher la philosophie de ce grand homme : c’est là seulement que Bacon respire encore, & vit, pour ainsi dire tout entier. L’article précédent ne présente que quelques-uns de ses traits plus ou moins affoiblis & qui peuvent à peine le faire reconnoître de ceux qui, pour parler comme Montaigne, l’ont vu chez lui. La seule chose, peut-être, qui puisse donner quelque prix à notre travail, c’est d’offrir au lecteur, dans une assez longue suite de passages, quelques-unes des grandes idées de Bacon exprimées dans sa langue avec cette originalité, cette précision & cette énergie qu’il a sçu donner à son style, d’ailleurs trop souvent embarrassé, selon l’usage du tems, d’un certain jargon scholastique qui le dépare. Ces citations recueillies avec choix & appliquées à presque toutes les pensées qui se font le plus remarquer dans cette analyse, en seront sans doute la partie la plus philosophique & la plus instructive : la doctrine de Bacon, ainsi transmise, fera sur l’esprit du lecteur une impression d’autant plus forte qu’elle sera plus directe & plus rapide : chaque trait y pénétrera plus avant qu’à l’aide du meilleur commentaire dont le dernier résultat est bien moins d’éclaircir ce qui est obscur, de déterminer ce qui est vague, de généraliser un principe pour connoître tous les cas où il s’applique & ceux qui en sont l’écueil, d’ajouter de nouvelles vues à celles de l’auteur original, &c. &c. que de tourner longtems autour des mêmes pensées, de les étendre, de les délayer, ce qui les énerve nécessairement, en amollit, si j’ose m’exprimer ainsi, & en relâche le tissu, comme un ressort s’affoiblit en se dilatant.

Persuadés avec juste raison de l’intérêt que donnent à cet article les différens textes que nous avons extraits des ouvrages de Bacon, nous aurions rendu ces citations plus longues & plus fréquentes, si nous n’eussions pas craint de trop multiplier les passages latins dans un ouvrage destiné indistinctement à toutes les classes de la société, & dans lequel il faut autant qu’il est possible, se mettre à la portée du plus grand nombre des lecteurs. Nous avons donc dû parler la langue qu’ils entendent tous, plus ou moins ; heureux, si nous pouvions nous flatter d’avoir jetté çà & là dans les notes, quelques-unes de ces vues, de ces idées philosophiques qui font fermenter les têtes pensantes, & qu’il suffit même de généraliser pour s’élever aux résultats les plus importants de l’étude de la philosophie rationelle !

Cet article est de m.. {{{1}}}

BAR

BARBARES. (philosophie des). Les Grecs donnoient le nom de barbares, par mépris, à toutes les nations qui ne parloient pas leur langue, où du moins qui ne la parloient pas aussi bien qu’eux. Ils n’en exceptoient pas même les Égyptiens, chez lesquels ils confessoient pourtant que tous les philosophes & tous les législateurs avoient voyagé pour s’instruire. Sans entrer ici avec Brucker, dans les différentes étymologies de ce terme, ni sans examiner s’il est composé du bar des arabes, qui signifie désert, ou s’il est dérivé du terme par lequel les chaldéens rendent le foris ou l’extra des latins ; je remarquerai seulement que dans la suite des tems, les grecs ne s’en servirent que pour marquer l’extrême opposition qui se trouvoit entr’eux & les autres nations qui ne s’étoient point encore dépouillées de la rudesse des premiers siècles, tandis qu’eux-mêmes, plus modernes que la plupart d’entre elles, avoient perfectionné leur goût, & contribué beaucoup aux progrès de l’esprit humain. Ainsi toutes les nations étoient réputées barbares parce qu’elles n’avoient ni la politesse des Grecs, ni une langue aussi pure ; aussi féconde, aussi harmonieuse que celle de ces peuples. En cela ils furent imités par les Romains, qui appelloient aussi barbares tous les autres peuples, à l’exception des Grecs, qu’ils reconnoissoient pour une nation savante & policée. C’est à peu près comme nous autres François, qui regardons comme grossier tout ce qui s’éloigne de nos usages. Les Grecs & les Romains étoient jaloux de dominer plus encore par l’esprit, que par la force des armes, ainsi que nous voulons le faire par nos modes.

Lorsque la religion chrétienne parut, ils n’eurent pas pour elle plus de ménagement qu’ils en avoient eu pour la philosophie des autres nations.

Ils la traitèrent elle-même de barbares ; & sur ce pied ils osèrent la mépriser. C’est ce

qui

    marges duquel j’ai indiqué par des guillemets les différens passages des anciens & des modernes qui ont servi à composer cet ouvrage : on y verra que si on restituoit, aux trois auteurs cités ci-dessus, de même qu’à Cicéron, à Séneque & à Plutarque ce que Charron en a tiré, il lui resteroit à cet égard fort peu de choses. Mais ce n’est pas ici le lieu de m’étendre sur ce sujet.