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ont eu les yeux bandés pendant long-temps, & auxquels on ôte le bandeau : leurs premières démarches sont timides ; ils refusent de s’appuyer sur la terre qu’ils découvrent ; & tel aveugle qui dans une heure traverse tout Paris, seroit peut-être plus d’un jour à faire le même chemin si on lui rendoit la vue tout d’un coup.

Corringius mourut, & le péripatétisme expira presque avec lui. Depuis il ne fit que languir, parce que ceux qui vinrent après, & qui le défendirent, ne pouvoient être de grands hommes : il y avoit alors trop de lumières pour qu’un homme d’esprit pût s’égarer.

Voila à peu près le commencement, les progrès & la fin du péripatétisme. Je ne pense pas qu’on s’imagine que j’aie prétendu nommer tous ceux qui se sont distingués dans cette secte : il faudroit des volumes immenses pour cela, parce qu’autrefois, pour être un homme célèbre dans son siècle, il falloit se signaler dans quelque secte de Philosophie ; & tout le monde sait que le péripatétisme a long-temps dominé. Si un homme passoit pour avoir du mérite, on commençoit par lui proposer quelque argument, in barocho très-souvent afin de juger si sa réputation étoit bien fondée. Si Racine & Corneille étoient venus dans ce temps-là, comme on n’auroit trouvé aucun ergo dans leurs tragédies, ils auroient passé pour des ignorans, & par conséquent pour des hommes de peu d’esprit. Heureux notre siècle de penser autrement !

L’auteur a cru pouvoir semer ici quelques morceaux de l’ouvrage de Deslandes qui font environ la dixième partie de ce long article : le reste est un extrait substantiel & raisonné de l’histoire latine de la philosophie de Brucker, ouvrage moderne estimé des étrangers, peu connu en France, & dont on a fait beaucoup d’usage pour la partie philosophique de l’Encyclopédie, comme dans l’article arabes, & dans un très-grand nombre d’autres.

N. B. On a conservé & entièrement fondu dans cet article celui de la première Encyclopédie ; mais on y a intercalé un très-grand nombre d’additions importantes qui ont paru absolument nécessaires, soit pour faire connoître avec plus de certitude & de précision la philosophie d’Aristote, soit pour satisfaire la juste curiosité du lecteur sur la destinée bisarre & peut-être unique dans l’histoire des Sciences, de cette philosophie, depuis son origine, jusqu’à nos jours. Tous ces détails, tous ces développements historiques & philosophiques ont été puisés dans les meilleures sources ; & si l’on joint à cet article ce que nous dirons au mot Philosophie péripatéticienne, on aura sur les opinions d’Aristote & de ses disciples les plus célèbres, à-peu-près ce qu’on peut recueillir de plus exact, & peut-être tout ce qu’il est utile d’en savoir, lorsqu’on ne veut pas perdre à étudier exclusivement d’anciens systêmes plus ou moins ingénieux, plus ou moins contraires à l’expérience & à l’observation, un temps précieux que l’on peut employer à des recherches & à des méditations d’une utilité générale & constante, & par conséquent plus dignes d’intéresser & d’occuper un bon esprit.

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ASCHARIOUNS, ou ASCHARIENS. (hist. des sectes ou superstitions modernes) disciples d’Aschari un des plus célèbres docteurs d’entre les musulmans. On lit dans l’Alcoran : « Dieu vous fera rendre compte de tout ce que vous manifesterez en dehors & de tout ce que vous retiendrez en vous même ; car Dieu pardonne à qui il lui plaît & il châtie ceux qu’il lui plaît, car il est le tout-puissant, & il dispose de tout selon son plaisir ». À la publication de ce verset les musulmans effrayés s’adressèrent à Aboubekre & Omar pour qu’ils en allassent demander l’explication au saint prophète. « Si Dieu nous demande compte des pensées mêmes dont nous ne sommes pas maîtres, lui dirent les députés, comment nous sauverons-nous ? » Mahomet esquiva la difficulté par une de ces réponses dont tous les chefs de secte sont bien pourvus, qui n’éclairent point l’esprit, mais qui ferment la bouche. Cependant pour calmer les consciences, bientôt après il publia le verset suivant : « Dieu ne charge l’homme que de ce qu’il peut, & ne lui impute que ce qu’il mérite par obéissance ou par rébellion ». Quelques musulmans prétendirent dans la suite que cette dernière sentence abrogeoit la première : les aschariens, au contraire, se servirent de l’une & de l’autre pour établir leur systême sur la liberté & le mérite des œuvres, systême directement opposé à celui des Montazales. Voyez Montazales.

Les aschariens regardent Dieu comme un agent universel, auteur & créateur de toutes les actions des hommes, libres toutes fois d’élire celles qu’il leur plaît. Ainsi les hommes répondent à Dieu d’une chose qui ne dépend aucunement d’eux, quant à la production, mais qui en dépend entiérement quant aux choix. Il y a dans ce systême deux choses assez bien distinguées : la voix de la conscience ou la voix de Dieu ; la voix de la concupiscence, ou la voix du démon, ou de Dieu parlant sous un autre nom. Dieu nous appelle également par ces deux voix, & nous suivons celle qui nous plait.

Mais les aschariens sont, je pense, fort embarrassés, quand on leur fait voir que cette action par laquelle nous suivons l’une ou l’autre