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ARI ARI 239

tianisme : mais ils croyoient rendre un hommage suffisant à la religion, en lui donnant la foi, & réservant la raison pour Aristote, partage tres-désavantageux : comment ne sentoient-ils point que ce qui est contraire à la raison, ce que la raison trouve faux, ne sauroit être vrai dans la religion ? La vérité est la même dans Dieu que dans les hommes ; c’est la même source. Je ne suis plus surpris qu’ils ne rencontrassent pas la vérité ; si elle n’est pas dans les dogmes que la foi enseigne, elle n’existe pas davantage dans la plupart des principes philosophiques qu’ils admettoient.

Les philosophes dont j’ai parlé jusqu’ici sont sortis du sein de l’église romaine : il y en a eu beaucoup d’autres, sans doute : mais nous avons cru devoir nous arrêter seulement à ceux qui se sont le plus distingués.

Les protestans ont eu les leurs ainsi que les catholiques. Il sembloit que Luther eut porté dans le parti le dernier coup à la philosophie péripatéticienne, en l’enveloppant dans les malédictions qu’il donnoit à la théologie scholastique : mais Luther lui-même sentit qu’il avoit été trop loin. La secte des anabaptistes lui fit connoïtre qu’il avoit ouvert la porte aux enthousiastes & aux illuminés. Les armes pour les réfuter manquoient aux Luthériens, & il fallut ces empruntassent celles qu’ils maudissoient dans la main des catholiques.

Mélancthon fut un de ceux qui contribua le plus au rétablissement de la philosophie parmi les protestans. On ne savoit être dans ce temps-là que péripatéticien.

Mélancthon étoit trop éclairé pour donner dans les erreurs grossières de cette secte ; il crut donc devoir réformer la philosophie dans quelques-unes de ses parties, & en conserver le fond qu’il jugea nécessaire pour repousser les traits que lançoient les Catholiques, & en même-temps pour arrêter les progrès de certaines sectes qui alloient beaucoup plus loin que les protestans.

Cet homme célèbre naquit à Schwarzerd d’une famille honnête ; il reçut une. fort bonne éducation. Dès ses premières années on découvrit en lui un désir insatiable d’apprendre ; les plaisirs ne l’amusoient point ; son application continuelle le rendait grave & sérieux ; mais cela n’altéra jamais la douceur de son caractère. A l’âge de douze ans, il alla continuer ses études à Heidelberg ; il s’attira bientôt l’estime & l’amitié de tout le monde ; le comte Louis de Lowenstein le choisit pour être précepteur de ses enfans. C’est avec raison que Baillet l’a mis au nombre des enfans qui se sont distingués dans un âge peu avancé, ou l’on possède rarement ce qui est nécessaire pour être savant.

Mélancthon étoit naturellement éloquent, comme on le voit par ses écrits ; il cultiva avec grand soin les talens naturels qu’il avoit en ce genre. Il étudia la philosophie comme les autres ; car on n’étoit rien si on ne savoit Aristote. Il se distingua beaucoup dans les solutions qu’il donnait des difficultés sur les propositions morales. Il parut un aigle sur les universaux.

On sera sans doute surpris de voir que je loue Mélancthon par ces endroits ; on s’en moque aujourd’hui, & avec raison : mais on doit louer un homme d’avoir été plus loin que tout son siècle, C’étaient alors les questions à la mode, on ne pouvait donc se dispenser de les étudier ; & lorsqu’on excellait par-dessus les autres, on ne pouvait manquer d’avoir beaucoup d’esprit ; car les premiers hommes de tous les siècles feront toujours de grands hommes, quelques absurdités qu’ils aient dites. Il faut voir, dit M. de Fontenelle, d’où ils sont partis : un homme qui grimpe sur une montagne escarpée pourra bien être aussi léger qu’un homme qui, dans la plaine, fera six fois plus de chemin que lui.

Mélancthon avait pourtant trop d’esprit pour ne pas sentir que la philosophie d’Aristote étendoie trop loin ses droits ; il désapprouva ces questions épineuses, difficiles & inutiles, dont tout le monde se toùrmentoit l’esprit ; il s’apperçut qu’une infinité de folies étoient cachées sous de grands mots, & qu’il n’y avoit que leur habit philosophique qui put les faire respecter. Il est très-évident qu’à force de mettre des mots dans la tête, on en chasse toutes les idées ; on se trouve fort savant, & on ne fait rien ; on croit avoir la tête pleine, & on n’y a rien.

Ce fut un moine qui acheva de le convaincre du mauvais goût qui tyrannisoit tous les hommes : ce moine un jour ne sachant pas un sermon qu’il devait prêcher, ou ne l’ayant pas fait, pour y suppléer, imagina d’expliquer quelques questions de la morale d’Aristote ; il se servit de tous les termes de l’art : on sent aisément combien cette exhortation fut utile, & qu’elle onction il y mit. Mélancthon fut indigné de voir que la barbarie allait jusques-là : heureux si dans la suite il n’avoit pas fait un crime à l’église entière de la folie d’un particulier, qu’elle a désavouée dans tous les temps, comme elle désavoue tous les jours les extravagances que font les zélés !

Il finit ses études à l’âge de dix-sept ans, & se mit à expliquer en particulier aux enfans, Térence & Virgile : quelque temps après on le chargea d’une harangue, ce qui lui fit lire attentivement Cicéron & Tite-Live ; il s’en acquitta en homme de beaucoup d’esprit, & qui s’était nourri des meilleurs auteurs. Mais ce qui surprit le plus Mé-