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ARI ARI 229

voir que ce qui est dans l’écriture & dans les pères ne s’oppose nullement à la nouvelle opinion qu’on veut établir. Il est juste que ce que l’on défend ne contredise point l’écriture & les pères ; & quand je dis les pères, je parle d’eux autant qu’ils constatent la tradition, & non quant à leurs opinions particulières ; parce qu’enfin je ne suis pas obligé d’être platonicien avec les premiers pères de l’église.

Tontes les écoles devroient dire : voici une nouvelle opinion qui peut être défendue, parce qu’elle ne contredit point l’écriture & les pères, & non perdre le temps à faire dire aux passages ce qu’ils ne peuvent pas dire. Il seroit trop long de nommer ici tous les théologiens que l’ordre de saint Dominique a produits : tout le monde fait que de tout temps cet ordre a fait de la théologie sa principale étude, & en cela ils suivent l’esprit de leur institution ; car il est certain que saint Dominique, leur fondateur, étoit plus prédicateur controversiste, que prédicateur de morale ; & il ne s’associa des compagnons que dans cette vue.

L’ordre de saint François a eu des scholastiques fort célèbres ; le premier de tous est le fameux Scot, surnommé le docteur subtil. Il faisoit consister son mérite à contredire en tout saint Thomas : on ne trouve chez lui que de vaines subtilités, & une métaphysique que tout homme de bon sens rejette ; il est pourtant à la tête de l’école de saint Thomas : Scot, chez les cordeliers, est une autorité respectable. Il y à plus : il n’est pas permis de penser autrement que lui ; & j’ose dire qu’un homme qui sauroît parfaitement tout ce qu’il a fait, ne sauroit rien. Qu’il me soit permis de faire quelques réflexions ici sur cette manie qu’ont les différens ordres de défendre les systèmes que quelqu’un de leur ordre a trouvés.

Il faut être thomiste chez les jacobins, scotisre dans l’ordre de saint François, moliniste chez les jésuites. Il est d’abord évident que non-seulement cela retarde les progrès de la théologie, mais même les arrête ; il n’est pas possible de penser mieux que Molina chez les jésuites, puisqu’il faut penser comme lui. Quoi ! des gens qui se moquent aujourd’hui de ce respect qu’on avoit autrefois pour les raisonnemens d’Aristote, n’osent pas parler autrement que Scot chez les uns, & que Molina chez les autres ? Mais homme pour homme, philorophe pour philosophe, Aristote les valoit bien. Des gens qui se piquent un peu de raisonner, ne devroient retpecter que la raison, consulter en tout l’expérience, & du reste se livrer à leur génie.

Croit-on que si chez les jésuites on n’avoit point été gêné, quelqu’un n’eût pas trouvé un sentiment plus aisé à défendre que les sentimens de Molina ? Si les chefs des vieilles sectes de philosophie dont on rit aujourd’hui, avoient été de quelque ordre, nous verrions encore leurs sentimens défendus.

Grace à Dieu, ce qui regarde l’hydrostatique, l’hydraulique & les autres sciences, n’a point été livré à l’esprit de corps & de société ; car on attribueroit encore les effets de l’air à l’horreur du vuide.

Il est bien singulier que depuis plus de cent cinquante ans, il foit défendu dans des corps très-nombreux de penfer, & qu’il ne foit permis que de savoir les pensées d’un seul homme. Est-il possible que Scot ait assez pensé pour meubler la tête de tous les Franciscains qui existeront jamais ? Je suis bien éloigné de ce sentiment, moi qui crois que Scot n’a pas pensé du tout : Scot gata donc l’esprit de tous ceux de son ordre.

Jean Ponsius professa la Théologie à Paris, selon les sentimens de son maître Scot. Il est inutile de peindre ceux qui se sont distingués parmi les Franciscains, parce qu’ils sont tous jettés au même moule ; ce font tous des scotistes.

L’ordre de Cîteaux a eu aussi ses théologiens ; Manriques est le plus illustre que je leur connoisse ; ce qui le distingue de la plupart des théologiens purement scholastiques, c’est qu’il avoit beaucoup d’esprit, une éloquence qui charmoit tous ceux qui l’entendoient. Philippe IV l’appella auprès de lui ; il fit beaucoup d’honneur à l’université de Salamanque, dont il étoit membre ; aussi l’en nommoit-on l’Atlas : c’est de lui que sont les annales de Cîteaux, & plusieurs ouvrages de philosophie & de scholastique.

L’ordre de Cîteaux a produit aussi Jean-Caramuel Lobkowitz, un des esprits les plus singuliers qui aient jamais paru. Il naquit à Madrid en 1607 : dans sa plus tendre jeunesse, son esprit se trahit ; on découvrit ce qu’il étoit, & on put juger dès-lors ce que Caramuel seroit un jour. Dans un âge où rien ne peut nous fixer, il s’adonna entièrement aux mathématiques ; les problêmes les plus difficiles ne le rebutoient point & lorsque ses camarades étoient occupés à jouer, il méditoit, il étudioit une planète pour calculer ses révolutions. Ce qu’on dit de lui est presque incroyable.

Après sa théologie il quitta l’Espagne, & passa dans les Pays-Bas ; il y étonna tout le monde par son savoir. Son esprit actif s’occupoit toujours, & toujours de choses nouvelles ; car la nouveauté avoit beaucoup de charmes pour lui. Son rare mérite le fit entrer dans le conseil aulique ; mais l’éclat de la cour ne l’éblouit pas. Il aimoit l’étude, non précisément pour s’avancer, mais pour le plaisir de savoir ; aussi abandonna-t-il la cour ; il