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228 ARI ARI

qu’on en faisoit. Quelqu’un dira-t-il, en effet, que la méthode géométrique est vicieuse, & qu’il faut la bannir du monde parce que Spinosa s’en est servi pour attaquer l’existence de Dieu que la foi enseigne ? Faut-il, parce que quelques théologiens ont abusé de la scholastique, la bannir ? L’expérience depuis Luther, nous a appris qu’on pouvoit s’en servir utilement ; il pouvoit lui-même s’en convaincre en lisant S. Thomas. La décision de l’église a mis d’ailleurs cette question hors de dispute.

Selon Brucker, cette décision de l’église pour maintenir la théologie scholastique, fit du tort à la bonne philosophie ; il se trouva par-là que, tandis que dans toutes les universités qui n’obeissoient pas à la cour de Rome on dictoit une philosophie raisonnable, dans celles, au contraire, qui n’avoient osé secouer le joug, la barbarie y regnoit toujours. Mais cette assertion de Brucker me paroit démentie par les faits.

Je crois que l’université de Paris à été la première à dicter la bonne philosophie ; & pour remonter à la source, n’est-ce pas notre Descartes qui le premier a marqué la route qui conduit à la bonne philosophie ? Quel changement fit donc Luther dans la philosophie ? Il n’écrivit que sur des points de théologie. Suffit-il d’être hérétique pour être bon philosophe ? Ne trouvons-nous pas une bonne philosophie dans les mémoires de l’Académie ? Il n’y a pourtant rien que l’église romaine ne puisse ou ne doive avouer.

En un mot, on trouve de très-grands philosophes parmi les catholiques. Descartes, Gassendi, Varignon, Malbranche, Arnaud, & le célèbre Pascal, prouvent cette vérité mieux que toutes nos raisons. Si Luther & les protestans n’en veulent précisément qu’à la théologie scholastique, on va voir par ceux dont nous allons parler si leur opinion a le moindre fondement.

A la tête des scholastiques, nous devrions mettre, sans doute, S. Thomas & Pierre Lombard ; mais nous parlons d’un temps beaucoup plus récent : nous parlons ici des scholastiques qui vivoient vers le tems de la célébration du concile de Trente.

Dominique Soto fut un des plus célèbres ; il naquit en Espagne de parens pauvres ; sa pauvreté retarda les progrès de son instruction ; il fit ses études à Alcala de Naris, & eut pour maître le célèbre Thomas de Villa-Nova ; de là il vint à Paris, où il prit le bonnet de docteur ; il repassa en Espagne & prit l’habit de saint Dominique à Burgos ; peu de temps après, il succéda à Thomas de saint Victor dans une chaire de professeur à Salamanque : il s’acquit une si grande réputation, que Charles V le députa au concile de Trente pour y assister en qualité de théologien. La cour & la vue des grands le fatiguèrent ; la chaire de professeur avoit beaucoup plus d’attraits pour lui ; aussi revint-il en faire les fonctions, & il mourut peu de temps après. Outre les livres de théologie qui le rendirent si fameux, il donna des commentaires sur Aristote & sur Porphyre : il donna aussi en sept livres un traité du Droit & de la Justice, où on trouve d’excellentes choses & des raisonnemens qui marquent un esprit très-fin ; il eut pour disciple François Tolet, dont nous parlerons dans la suite.

François de saint Victor vivoit à-peu-près vers le temps de Dominique Soto ; il naquit au pays des Cantabres ; il fit ses études à Paris, où il prit aussi l’habit de saint Dominique ; on l’envoya professer la théologie à Salamanque, où il se rendit très-célèbre ; il y composa entr’autres ouvrages, ses livres sur la Puissance civile & ecclésiastique : plusieurs assurent qu’ils ont beaucoup servi à Grotius pour faire son Droit de la guerre & de la paix ; le vengeur de Grotius paroît lui-même en convenir. On trouve, en effet, beaucoup de vues dans ce traité, & beaucoup d’idées qui font si analogues à certaines de Grotius, qu’il serait difficile qu’elles ne les eussent point occasionnées. .

Bannès fut encore un des plus célèbres théologiens de l’université de Salamanque ; il étoit subtil, & ne trouvoit ordinairement dans les pères de l’église, que ce qu’il avoir pensé auparavant ; de sorte que tout paroitroit se plier à ses sentimens : il soutenoit de nouvelles opinions, croyant n’avoir d’autre mérite que de les avoir découvertes dans les pères : presque tout le monde le regarde comme le premier inventeur de la prémotion physique, excepté l’école de saint Thomas, qui l’attribue à saint Thomas même : mais en vérité, je voudrais bien savoir pourquoi les Dominicains s’obstinent à refuser à Bannos le mérite de les exercer depuis si long-temps. Si saint Thomas est le premier inventeur de la prémotion physique, elle n’en acquerra pas plus de certitude que si c’étoit Bannés : ce ne sont pas les hommes qui rendent les opinions bonnes, mais les rairons dont ils les défendent ; & quoi qu’en disent toutes les différentes écoles, les opinions qu’eles défendent ne doivent leur origine ni à la tradition écrite, ni à la tradition orale ; il n’y en a pas une qui ne porte le nom de son auteur, & par conséquent le caractère de la nouveauté ; tous pourtant vont chercher des preuves dans l’écriture & dans les pères, qui n’ont jamais eu la première idée de leurs sentimens.

Ce n’est pas que je trouve mauvais qu’on parle de l’écriture dans ces questions théologiques ; mais je voudrois seulement qu’on s’attachât à faire