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dante fertile en inventions, en idées, exprssions, en figures, donnant mille tours différens, mille couleurs nouvelles, & toutes agréables à chaque chose. Mais, après tout, ce n’est souvent que de l’imagination. Aristote est dur & sec en tout ce qu’il dit ; mais ce sont des raisons que ce qu’il dit, quoiqu’il le dire sèchement : sa diction, toute pure qu’elle est, a je ne fais quoi d’austère ; & ses obscurités naturelles ou affectées, dégoûtent & fatiguent les lecteurs. Platon est délicat dans tout ce qu’il pence & dans tout ce qu’il dit : Aristote ne l’est point du tout, pour être plus naturel ; son style est simple & uni mais serré & nerveux. Celui de Platon est grand & élevé, mais lâche & diffus : celui-ci dit toujours plus qu’il n’en faut dire ; celui-là n’en dit jamais assez, & laisse à penser toujours plus qu’il n’en dit : l’un surprend l’esprit & l’éblouit par un caractère éclatant & l’autre l’éclaire & l’unstruit par une méthode juste & solide ; & comme les raisonnemens de celui-ci sont plus droits & plus simples, les raisonnemens de l’autre sont plus ingénieux & plus embarrassés. Platon donne de l’esprit par la fécondité du sien, & Aristote donne du jugement & de la raison par l’impression du bon sens qui paroît dans tout ce qu’il dit. Enfin, Platon ne pense le plus souvent qu’à bien dire, & Aristote ne s’occupe qu’à bien penser, à creuser les matières, à en rechercher les principes, & de ces principes en tirer des conséquences infaillibles ; au lieu que Platon, en se donnant plus de liberté, embellit son discours & plaît davantage : mais par la trop grande envie qu’il a de plaire, il se laisse trop emporter à son éloquence ; il est figuré en tout ce qu’il dit . . . . Aristote se possède toujours ; il appelle les choses tout simplement par leur nom : comme il ne s’élève point, qu’il ne s’égare jamais, il est aussi moins sujet à tomber dans l’erreur, que Platon qui y fait tomber tous ceux qui s attachent à lui ; car il séduit par sa manière d’instruire qui est trop agréable. Mais quoique Platon ait excellé dans toutes les parties de l’éloquence, qu’il ait été un orateur parfait, au sentiment Longin & qu’Aristote ne soit nullement éloquent, ce dernier donne, pour l’ordinaire, du fond & du corps au discours, pendant que l’autre n’y donne que la couleur & la grace ».

Lorsque les injustes persécutions des prêtres de Cérès contraignirent Aristote de se retirer à Chalcis, il nomma Théophraste pour son successeur, & lui légua tous ses manuscrits. Ce philosophe jouit toute sa vie d’une très-grande réputation : on comparoit la douceur de son éloquence à celle du vin de Lesbos, qui étoit sa patrie. Né doux & obligeant, il parloit avantageusement de tout le monde ; & les gens de lettres, sur-tout trouvoient dans lui un ami aussi sûr que prévenant. Il savoit faire valoir leur mérite lors même qu’ils l’oublioient, ou plutôt, qu’ils sembloient l’ignorer par un excès de modestie.

Pendant que Théophraste se distinguoit ainsi à Athènes, Sophocle, fils d’Amphiclide, porta une loi, par laquelle il était defendu à tous les philosophes d’enseigner publiquement sans une permission expresse du sénat & du peuple. La peine de mort étoit même décernée contre tous ceux qui n’obéiroient point à ce réglement. Les philosophes indignés d’un procédé si violent se retirèrent tous d’Athènes, & laissèrent le champ libre à leurs rivaux & à leurs ennemis, je veux dire aux rhéteurs & aux autres. savans d’imagination.

Tandis que ces derniers jouissoient de leur triomphe, un certain Philon qui avoit été ami d’Aristote & qui faisoit profession d’honorer les beaux arts, composa une apologie en faveur des philosophes retirés. Cette apologie fut attaquée par Démocharès, homme accrédité, fils d’une sœur de Démosthène. L’amère critique n’étoit point épargnée dans sa réfutation, & il faisoit sur-tout un portrait odieux de tous les philosophes qui vivoient alors ; & d’autant plus odieux, qu’il était moins ressemblant. Ce qu’il croyoit devoir servir à sa cause, la gâta, & la perdit sans ressource : le peuple revenu de sa première chaleur, abolit l’indécente loi de Sophocle, & le condamna lui-même à une amende de cinq talens.

Les jours tranquiles revinrent à Athènes, avec eux la raison ; les philosophes recommencèrent leurs exercices.

Le Lycée perdit beaucoup par la mort de Théophraste : mais quoique déchu de son ancienne splendeur on continua toujours d’y enseigner. Les professeurs furent Demétrius de Phalère, Straton, surnommé le physicien, Lycon, Ariston, de l’ile de Céa, Chritolaüs, & Diodore qui vécut sur la fin de la cent-soixantième olympiade. Mais de tous ces professeurs, il n’y eut que Straton qui donna quelque chose de nouveau, & qui attira sur lui les regards des autres philosophes ; car pour ceux que je viens de nommer, on ne sait d’eux que leur nom, l’époque de leur naissance, celle de leur mort, & qu ils ont été dans le Lycée les successeurs d’Aristote.

Straton ne se piqua point de suivre le pur péripatéticisme. Il y fit des innovations : il ren-