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autres intelligences, qui sont occupées comme lui à faire tourner les sphères auxquelles elles sont attachées. ll est dans l’univers ce qu’un premier mobile est dans une machine : il donne le mouvement à tout, & il le donne nécessairement. Un Dieu si éloigné des hommes, ne peut être honoré par leurs prières, ni appaisé par leurs sacrifices, ni punir le vice, ni récompenser la vertu. A quoi serviroit-il aux hommes d’honorer un Dieu qui ne les connoît pas, qui ne fait pas même s’ils existent, dont la providence est bornée à faire mouvoir le premier ciel où il est attaché ? Il en est de même des autres intelligences, qui contribuent au mouvement de l’univers, ainsi que les différentes parties d’une machine, où plusieurs ressorts sont subordonnés à un premier qui leur imprime le mouvement. Ajoutez à cela qu’il croyait nos ames mortelles, & qu’il rejettoit le dogme des peines & des récompenses éternelles ; ce qui étoit une suite, comme nous l’avons ci-dessus observé, de l’opinion monstrueuse qui faisoit de nos ames autant de portions de la divinité.

Jugez après cela si Aristote pouvoit être fort dévot envers les dieux. N’est-il pas plaisant de voir que, même dans les plus beaux siècles de l’église, il y ait eu des hommes assez prévenus, & non moins impies qu’insensés, les uns pour élever les livres d’Aristote à la dignité du texte divin, les autres pour faire un regard de son portrait & de celui de J. C. ?

Dans les siècles suivans, & même depuis la renaissance des lettres en Italie, on n’a point hésité à mettre ce philosophe au nombre des bienheureux. Nous avons deux ouvrages exprès sur cette matière, l’un attribué aux théologiens de Cologne, & intitulé, du fsalut d’Aristote : l’autre composé par Lambert Dumont, professeur en philosophie, & publié sous ce titre : Ce qu’on peut avancer de plus probable touchant le salut d’Aristote, tant par des preuves tirées de l’écriture sainte, que par des témoignages empruntés de la plus saine partie des théologiens : tandis qu’il est constant par l’exposition de son système, qu’il n’a point eu d’idée saine de la divinité, & qu’il n’a nullement connu la nature de l’ame. ni son immortalité, ni la fin pour laquelle elle est née.

On suppose dans ces deux ouvrages comme un principe clair & évident, qu’il a eu une connoissance anticipée de tous les mystères du christianisme, & qu’il a été rempli d’une force surnaturelle. A combien d’excès l’envie opiniâtre de christianiser les anciens philosophes n’a-t-elle point donné naissance ? Ceux qui auraient l’esprit tourné de coté-là, feraient pas mal de lire l’excellent traité d Jean-Baptiste Crispus, italien, qui florissoit au commencement du seizième siècle. Ce traité est plein d’une critique sure & délicate, & où le discernement de l’auteur brille à chaque page : il est intitulé, des précautions qu’il faut prendre en étudiant les philosophes payens.

Si Aristote a eu des temples, il s’est trouvé bien des infidèles qui se sont moqués de sa divinité : les uns l’ont regardé comme le génie de la nature, & presque comme un dieu : mais les autres ont à peine daigné lui donner le titre de physicien. Ni les panegyristes, ni les critiques n’en ont parlé comme ils le devoient, les premiers ayant trop exagéré le mérite de ce philosophe, & les autres l’ayant blâmé sans aucun ménagement. Le mépris qu’on a eu pour lui dans ces derniers siècles, vient de ce qu’au lieu des originaux, que personne ne lisoit, parce qu’ils étoient en grec, on consultoit les commentateurs arabes & scholastiques, entre les mains desquels on ne peut douter que ce philosophe n’ait beaucoup perdu de ses traits. En effet, ils lui ont prêté les idées les plus monstrueuses, & lui ont fait parler un langage inintelligible. Mais quelque tort que lui aient fait tous ces écarts & toutes ces chimères, au fond il n’en est point responfable. Un maitre doit-il souffrir de l’extravagance de ses disciples ? Ceux qui ont lu les ouvrages dans l’original, lui ont rendu plus de justice. ils ont admiré en lui un esprit élevé, des connoissances variées, approfondies, & des vues générales ; & si sur la physique il n’a pas poussé les recherches aussi loin qu’on l’a fait aujourd’hui, c’est que cette science ne peut se perfectionner que par le secours des expériences, ce qui dépend, comme l’on voit, du temps.

J’avouerai cependant, d’après le fameux chancelier Bacon, que le défaut essentiel de la philosophie d’Aristote, c’est qu’elle accoutume peu-à-peu à se passser de l’évidence, & à mettre les mots à la place des choses. On peut lui reprocher encore cette obscurité qu’il affecte partout, & dont il enveloppe les matières.

Je ne puis mieux finir ni faire connoître ce qu’on doit penser du mérite d’Aristore, qu’en rapportant ici l’ingénieux parallèle que le P. Rapin en fait avec Platon, qu’on a toujours regardé comme un des plus grands philosophes. Voici à-peu-près comme il s’exprime :

Les qualités de l’esprit étoient extraordinaires « dans l’un & dans l’autre : ils avoient le gé- « nie élevé & propre aux grandes choses. Il est « vrai que l’esprit de Platon est plus brillant « & plus poli, celui d’Aristote plus vaste & plus « profond. Platon a l’imagination vive, abon-