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DISCOURS

le géomètre pourroient-ils recueillir de cette vérité ? Ne seroit elle pas plutôt, comme Senèque l’a dit de plusieurs autres recherches aussi frivoles[1], une de ces inutilités qu’il faut savoir, quand on veut savoir beaucoup de choses ? Si le désir d’occuper le public de ses productions ; si l’insanabile scrivendi Cacoëthes ne tourmentoit pas, n’obsédoit pas M. Dutens dans tous les pays qu’il parcourt successivement[2], auroit-il entrepris un ouvrage dont le chancelier Bacon, qui avoit tant à cœur la dignité & l’accroissement des sciences, & qui ne négligeoit aucun des moyens d’en accélérer les progrès, pensoit qu’un bon esprit ne devoit pas s’occuper. » Il n’importe pas plus, dit-il, de savoir si nos nouvelles découvertes appartiennent aux anciens, & si, tout étant en vicissitude, ces inventions ne sont que des connoissances oubliées, perdues & ensuite retrouvées, qu’il n’est intéressant pour nous de savoir si notre nouveau monde est l’isle Atlantique des anciens géographes, ou si les modernes sont les premiers qui ayent pénétré dans ces climats. C’est en portant sur toute la nature le flambeau de l’expérience & de l’observation qu’on fait des découvertes ; mais ce n’est pas dans les ténèbres de l’antiquité qu’il faut chercher la lumière[3] ».

  1. Talia sciat oportet, qui multa vult scire. Senec. Epist.
  2. M. Dutens a le goût des voyages ;

     

    ……Quiconque a beaucoup vu,
    Peut avoir beaucoup retenu.


    aussi est-il très-empressé de faire part au public de ses lumieres, & il lui arrive rarement de quitter un pays sans y laisser quelques preuves de la fécondité de son génie. Paris est sur-toute la ville qu’il a le plus favorisée à cet égard, quoique ce ne soit pas celle où il compte le plus d’admirateurs : mais il en a usé avec elle comme avec une maîtresse ingrate qu’on aime avec d’autant plus de passion qu’on en est plus maltraité. Il y a donc fait imprimer : 1o. Son Origine des Découvertes attribuées aux modernes ; 2o. une édition grecque des Pastorales de Longus ; 3o. un Itinéraire des routes les plus fréquentées, espece de livre de poste plus curieux, plus utile que l’ancien, & le meilleur ouvrage de l’auteur ; 4o. un Traité des Pierres précieuses, écrit sans aucunes connoissances de chymie, d’histoire naturelle, & par conséquent rempli d’erreurs ; 5o. une Dissertation sur le miroir d’Archimede, qui ne contient rien de nouveau, & qui d’ailleurs ne résout point la grande difficulté ; 6o. un extrait des notes critiques de Rousseau sur le livre de l’Esprit ; notes qui, selon M. Dutens, devoient détruire la réputation d’Helvétius & qui n’ont fait aucune sensation, parce que la plupart manquent de justesse, & sont bien plus souvent l’ouvrage de l’humeur que celui de la raison ; 7o. enfin une petite brochure intitulé le Tocsin, que M. Dutens distribuoit clandestinement à ses amis, & dans laquelle il peint comme des citoyens dangereux, & dénonce bénignement au glaive du magistrat ceux qui n’ont pas, sur la religion, les mêmes préjugés que lui.

    Les sentimens humains, mon frere, que voilà !
  3. Verum & de aristotele, & de reliquis istis græcis, non dissimile judicium fecit, esse nimirum hujusmodi placita ac theorias veluti diversa, diversarum fabularum in theatro argumenta, in quandam verisimilitudinem, alia elegantius, alia negligentius, aut crassius conficta ; atque habere quod fabularum proprium est, ut veris narrationibus concinniora & commodiora videantur……