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« Il est temps de retourner aux erreurs de Ni- « zolius ; cet homme a prétendu que nous n’avions « pas aujourd’hui les véritables ouvrages d’Aris- » tote : mais je trouve pitoyable l’objection qu’il » fonde sur les passages de Cicéron, & elle ne « sauroit faire la moindre impression sur mon, « esprit. Est-il bien surprenant qu’un homme ac- « cablé de soins, chargé des affaires publiques, tel qu’étoit Cicéron, n’ait pas bien compris le véritable sens de certaines opinions d’un « philosophe très-subtil, & qu’il ait pu se trom- « per en les parcourant très-légèrement ? Quel « est l’homme qui puisse se figurer qu’Aristote « ait appellé Dieu l’ardeur du ciel ? Si l’on croit « qu’Aristote a dit une pareille absurdité on doit conclure nécéssairement qu’il étoit insensé : « cependant nous voyons par les ouvrages qui « nous restent, qu’Aristote étoit un grand gé- « nie ; pourquoi donc veut-on substituer par force, « & contre toute raison, un Aristote fou, à » l’Aristote sage ? C’est un genre de critique « bien nouveau & bien singulier, que celui de « juger de la supposition des écrits d’un auteur « généralement regardé de tous les grands hom- « mes comme un génie supérieur, par quelques absurdités qui ne s’y trouvent point ; en- « sorte que pour que les ouvrages d’un philoso- « phe aussi subtil que profond, ne passent point « pour supposés, il faudra désormais qu’on y trouve toutes les « fautes & toutes les imper- « tinences qu’on lui aura prêtées, soit par inad- « vertance soit par malice. Il est bon d’ailleurs de remarquer que Cicéron a été le seul que « nous connoissons avoir attribué ces sentimens « à Aristote ; quant à moi je suis très-per- « suadé que tous les ouvrages que nous avons « d’Aristote sont constamment de lui ; & quoi- « que quelques-uns aient été regardés comme « supposés, ou du moins comme suspects, par Jean-François Pic, par Pierre Ramus, par Pa- « tricius & par Naudé, je n’en suis pas moins convaincu, que ces livres sont véritablement d’Aristote. Je trouve dans tous une parfaite liaison & une harmonie qui les unit ; j’y découvre la même hypothèse toujours bien suivie, » & toujours bien soutenue ; j’y vois enfin la « même méthode, la même sagacité & la même habileté ».

Il n’est guère surprenant que dans le nombre de quatorze ou quinze mille commentateurs qui ont travaillé sur les ouvrages d’Aristote, il s’en soit trouvé quelques-uns qui, pour se donner un grand air de critique, & montrer qu’ils avoient le goût plus fin que les autres, aient cru devoir regarder comme supposé quelque livre particulier, parmi ceux de ce philosophe Grec ; mais que peuvent dix ou douze personnes qui auront ainsi pensé, contre plus de quatorze mille dont le sentiment sur les ouvrages d’Aristote est bien

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différent ? Au reste, aucun d’eux n’a jamais soutenu qu’ils fussent tous supposés ; chacun, selon son caprice & sa fantaisie, a adopté les uns, & rejetté les autres, preuve bien sensible que la seule fantaisie a dicté leur décision.

Des ouvrages d’Aristote, de sa rhétorique & de sa poétique.

A la tête des ouvrages d’Aristote, sont ceux qui roulent sur l’art oratoire & sur la poétique ; il y a apparence que ce sont les premiers ouvrages qu’il ait composés ; il les destina à l’éducation du prince qui lui avoit été confié ; on y trouve des choses excellentes, & on les regarde encore aujourd’hui comme des chefs-d’oeuvre de goût & de philosophie. Une lecture assidue des ouvrages d’Homère lui avoit formé le jugement, & donné un goût exquis de la belle littérature ; jamais personne n’a pénétré plus avant dans le cœur humain, ni mieux connu les ressorts invisibles qui le font mouvoir ; il s’étoit ouvert par la force de son génie, une route sûre jusqu’aux sources du vrai beau ; & si aujourd’hui l’on veut dire quelque chose de bon sur la rhétorique & sur la poétique on se voit obligé de le répéter. Nous ne craignons point de dire que ces deux ouvrages sont ceux qui font le plus d’honneur à sa mémoire, (Voyez-en un jugement plus détaillé aux articles Rhétorique et Poëtique.

De la morale d’Aristote.

La morale d’Aristote est plus simple à la vérité, & moins éclatante que celle de Platon : mais elle est plus solide & plus suivie : en voici l’abrégé réduit en principes.

Dans les dix livres qu’Aristote a écrits à son fils Nicomachus, il cherche qu’elle est la fin dernière de l’homme, qui doit être la vraie félicité. Après avoir établi qu’il y en a une, il déclare que ce n’est, ni les plaisirs des sens, ni les richesses, ou les autres biens du corps, ni les honneurs, ni même la vertu, parce que tous ces biens ont rapport à un autre bien ; & la vraie béatitude, dit-il, est un bien universellement défini de tout le monde, qu’on désire par lui-même, & pour lequel on désire tous les autres biens. C’est la définition qu’il en donne. Comme ce bien ne peut s’acquérir que par la vertu, il explique ce que c’est que vertu. C’est une habitude au bien qui consiste dans une espèce de milieu, qui se trouve entre les deux extrémités du vice ; il montre ce que c’est que ce milieu dans le détail de la force, de la justice, de la prudence, & de la tempérance, qui sont les vertus principales de sa morale. Comme par exemple ce milieu qui fait la vertu de tempérance, règle la douleur & le plaisir, & réduit l’un & l’autre dans un tempérament juste, qui fait la vertu.