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ait eu envie de la faire connoître à tout le monde, en indiquant publiquement la distinction que l’on doit faire de ces deux genres de doctrines. Aussi s’explique-t-il sans détour & de la manière la plus dogmatique contre les peines & les récompenses d’une autre vie. La mort, dit-il dans son Traité de Morale, est de toutes les choses la plus terrible ; c’est la fin de notre existence ; & après elle l’homme n’a ni bien à espérer, ni mal à craindre.

Dans sa vieillesse, Aristote fut attaqué par un prêtre de Cerès, qui l’accusa d’impieté & le traduisit devant les juges. Comme cette accusation pouvoit avoir des suites fâcheuses, le philosophe trouva à propos de se retirer secrétement à Chalcis. En vain ses amis voulurent ils l’arrêter : empêchons, leur cria-t-il en partant, empêchons qu’on ne fasse une seconde injure à la philosophie. La première sans doute étoit le supplice de Socrate qui pourroit être regardé comme un martyr de l’unité de Dieu dans la loi de la nature, s’il n’avoit pas eu la foiblesse, pour complaire à ses concitoyens, d’ordonner en mourant qu’on sacrifiât (1) un coq à Esculape.

On raconte diversement la mort d’Aristote : les uns disent que, désespéré de ne pouvoir deviner la cause du flux & restux qui se fait sentir dans l’Euripe, il s’y précipita à la fin en disant ces mots : puisqu’Aristote n’a jamais pu comprendre l’Euripe, que l’Euripe le comprenne donc lui-même. D’autres rapportent qu’après avoir quelque temps soutenu son infortune, & lutté pour ainsi dire contre la calomnie, il s’empoisonna pour finir comme Socrate avoit fini. D’autres enfin veulent qu’il soit mort de sa mort naturelle, exténué par les trop grandes veilles, & consumé par un travail trop opiniâtre : tel est le Sentiment d’Apollodore, de Denys d’Halicarnasse, de Censorin, de Laërce : ce dernier, pour prouver son infatigable activité dans le travail rapporte que lorsqu’il se mettoit en devoir de reposer, il tenoit dans la main une sphère d’airain appuyée sur les bords d’un bassin, afin que le bruit qu’elle feroit en tombant dans le bassin pût le réveiller.

Il rendit l’âme en invoquant la cause universelle, l’Etre suprême à qui il alloit se joindre.

Les Stagiriens devoient trop à Aristote pour

(1) Diderot a expliqué tres-naturellemert, dans un de ses ouvrages, le vrai sens de cet ordre donné par Socrate de sacrifier un coq à Esculape, & il justifie très-bien le philosophe de l’accusation d’idolâtrie dont les chrétiens étoient autrefois aussi prodigues qu’ils le sont aujourd’hui de celle d’athéisme. Le grand crime, le crime inexpiable pour eux, c’est de faire usage de sa raison. Note de l’Editeur.

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ne pas rendre à sa mémoire de grands honneurs. Ils transportèrent son corps à Stagire & sur son tombeau, ils élevèrent un autel & une espèce de temple, qu’ils appellèrent de son nom, afin qu’il fût un monument étemel de la liberté & des autres privilèges qu’Aristote leur avoit obtenus, soit de Philippe, soit d’Alexandre.

Si l’on en croit Origène, Lib. I. contra Cels. Aristote avoit donné lieu aux reproches d’impiété qui lui firent abandonner Athènes pour s’exiler à Chalcis. Dans les conversations particulières, il ne se ménageoit pas assez : il osoit soutenir que les offrandes & les sacrifices sont tout-à-fait inutiles, que les dieux font peu d’attention à la pompe extérieure qui brille dans leurs temples : c’étoit une suite de l’opinion où il étoit, que la providence ne s’étend point jusqu’aux choses sublunaires. Le principe sur lequel il s’appuyoit pour soutenir ce système qui lui est particulier, revient à ceci : Dieu ne voit & ne connoit que ce qu’il a touiours vu & connu : les choses contingentes ne sont donc pas de son ressort la terre est le pays des changemens de la génération & de la corruption ; Dieu n’y a donc aucun pouvoir : il se borne au pays de l’immortalité, ce qui est de sa nature incorruptible. Aristote, pour assurer la liberté de l’homme, croyoit ne pouvoir mieux faire que de nier la providence : en falloit-il davantage pour armer contre lui les prêtres intéresés du paganisme ? Ils pardonnoient rarement, & sur-tout à ceux qui vouloient diminuer de leurs droits & de leurs prérogatives.

De la prétendue supposition des écrits d’Aristote.

Quoique la vie d’Aristote ait toujours été fort tumultueuse, soit au lycée soit à la cour de Philippe, le nombre de ses ouvrages est cependant prodigieux : on en peut voir les titres dans Diogène Laërce, & plus correctement encore dans Jérome Gémusaeus , médecin & professeur en philosophie à Bâle, qui a composé un écrit intitulé : de vita Aristotelis, & ejus operum censura ; encore ne sommes-nous pas sûrs de les avoir tous il est même probable que nous en avons perdu plusieurs, puisque Cicéron cite dans ses Entretiens des passages qui ne se trouvent point aujourd’hui dans les ouvrages qui nous restent de lui. On auroit tort d’en conclure, comme quelques-uns l’on fait, que dans cette foule de livres qui portent le nom d’Aristote, & qui passent communément pour être de lui, il n’y en a peut-être aucun dont la supposition ne paroisse vraisemblable.

En effet, il seroit aisé de prouver, si l’on vouloit s’en donner la peine l’authenticité des ouvrages d’Aristote, par l’autorité des auteurs profanes, en descendant de siècle en siècle, depuis