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alors bien oisifs pour répondre à de pareilles interrogations.

Ceux qui ont dit qu’Aristote avoit été pendant trois ans disciple de Socrate, ont commis un grand anachronisme car lorsqu’il naquit, il y avoit douze ou quinze ans que Socrate étoit mort.

La grande réputation que Platon s’étoit acquise, engageoit tous les étrangers à se mettre sous sa discipline : Aristote vint donc à l’académie ; il avoit alors dix-sept ans. Les leçons de Platon ne lui furent point inutiles, au moins pour empêcher certains défauts de se produire au dehors. On loue d’ailleurs la bonté de son caractère : relativement au corps, il fut moins bien partagé ; les auteurs de sa vie ne le peignent pas d’une fort belle stature ; il avoit la langue embarrassée, & ce vice naturel chez lui devint un vice d’imitation chez ceux qui le fréquentoient.

L’école de Platon étoit remplie d’excellens esprits ; mais Aristote étudioit avec une telle application, que dès les premiers jours il y parut moins en disciple qu’en génie supérieur. Il devança bientôt tous ceux qui fréquentoient l’académie. On ne l’appeltoit que l’esprit ou l’intelligence. Il étoit, pour ainsi dire, l’ame de l’école de Platon, & lorsque quelque indisposition, ou quelque affaire l’empêchoit de s’y trouver, on disoit que le philosophe de la vérité n’y étoit pas, & l’on ne décidoit rien sans son avis.

Pendant les vingt années qu’il fut disciple de Platon, il n’eut commerce avec personne, & il s’abstint de toute espècede divertissement, pour ne dérober aucun moment à l’étude qui faisoit toutes ses délices. Son tempérament mélancotique le portoit fortement à la méditation ; de-là vint qu’il approfondissoit si fort les choses ; & qu’il les disposoit dans un si grand ordre, quand il les avoit une fois approfondies. Galien le loue d’avoir été le premier des philosophes qui a cherché avec soin les causes générales de tous les êtres, & qui a le plus descendu dans leur détail particulier.

Il joignoit à ses talens naturels une ardeur insatiable de tout savoir, une lecture immense qui lui faisoit parcourir tous les ouvrages des anciens. Sa passion pour les livres alla si loin qu’il acheta jusqu’à trois talens, ceux de Speusippe. Strabon dit de lui qu’il pensa le premier à faire une bibliotheque. Sa vaste littérature paroît assez dans les ouvrages qui nous restent de lui. Combien d’opinions des anciens a-t-il arrachées à l’oubli dans lequel elles seroient aujourd’hui ensevelies s’il ne les en avoit retirées & s’il ne les avoit exposées avec autant de jugement que de

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variété. Il seroit à souhaiter que sa bonne foi dans leur exposition égalât sa grande érudition. Si nous nous en rapportons à Ammonius il demeura pendant 20 ans sous la discipline de Platon, dont il honora la mémoire, par un autel qu’il lui érigea, & sur lequel il fit graver ces deux vers :
Gratus Aristoteles struit hoc altare Platoni.
Quem turbae injustae vel celebrare nefas.

Aristote reconnaissant a construit cet autel à Platon

Qui ne saurait célébrer ni le mauvais ni l’injuste

Il y a bien d’autres preuves de son amour envers son maître, témoin l’oraison funèbre qu’il composa pour lui & mille épigrammes dans lesquelles il a rendu jultice à ses grands talens. Mais il y en a qui prétendent que tous ces témoignages de rattachement d’Aristote sont démentis par la brouillerie qui s’éleva entre lui & Platon. En effet le maître se faisoit souvent un plaisir de mortifier son disciple. Il lui reprochoit, entr’autres choses trop d’affectation dans ses discours, & trop de magnificence dans ses habits. Aristote, de son côté ne cessoit de railler son maître & de le piquer dans toutes les occasions qui se présentoient. Ces mésintelligences allèrent si loin, que Platon lui préféra Xénocrate, Speusippe Amictas & d’autres qu’il affecta de mieux recevoir que lui, & pour lesquels il n’eut rien de secret. On rapporte même qu’Aristote prit le tems où Xénocrate étoit allé faire un voyage dans son pays, pour rendre visite à Platon, étant escorté d’un grand nombre de disciples qu’il profita de l’absence de Speusippe qui étoit alors malade pour provoquer à la dispute Platon à qui son grand âge avoit ôté la mémoire ; qu’il lui fit mille questions sophistiques plus embarrassantes les unes que les autres qu’il l’enveloppa adroitement dans les pièges séduisans de sa subtite dialectique ; & qu’il l’obligea à lui abandonner le champ de bataille. On ajoute que Xénocrate étant revenu trois mois après de son voyage, fut fort surpris de trouver Aristote à la place de son maître qu’il en demanda la raison & sur ce qu’on lui répondit que Platon avoit été forcé de céder le lieu de la promenade, qu’il étoit allé trouver Platon, qu’il l’avoit vu environné d’un grand nombre de gens fort estimés, avec lesquels il s’entretenoit paisiblement de questions philosophiques ; qu’il l’avoit salué très-respectueusement sans lui donner aucune marque de son étonnement, mais qu’ayant assembté ses compagnons d’études, il avoit fait à Speusippe de grands reproches d’avoir ainsi laissé Aristote maître du champ de bataille ; qu’il avoit attaqué Aristote, & qu’il l’avoit obligé de céder à ton tour, une place dont Platon étoit plus digne que lui.

Si Aristote en avoit usé ainsi, il mériteroit d’être détesté ; mais je ne crois point que ce conte soit véritable. Ses sectateurs ont soutenu qu’il ne man-