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DISCOURS

oubliant les sages leçons[1] d’Horace, je succomberois sous le poids du fardeau dont je me suis chargé, cela ne prouverait rien en faveur de Brucker & de Stantey ; leur ouvrage n’en seroit pour cela, ni meilleur, ni plus instructif, & je n’en aurois pas moins le droit de le dire. Toutes les autorités, sacrées ou profanes, sont égales & indifférentes pour un bon esprit ; ce n’est ni leur source ni leur nombre ni leur ancienneté, c’est la raison qui fait leur différence : c’est elle seule qu’on doit écouter & compter pour rien Brucker, Stanley & moi, parce que, dans toute espèce de discussion, il faut toujours, en derniere analyse, en revenir aux faits & à la logique.

Je n’espérois pas trouver dans les écrits de ces savans beaucoup d’idées ; les érudits en général[2] pensent peu. Plus capables, & par cela même plus empressés d’amasser des matériaux que de les ordonner : presqu’uniquement occupés à compiler indistinctement un grand nombre de faits, ils semblent laisser au Philosophe le soin de les appliquer, de découvrir la source de la dépendance mutuelle où ils sont les uns des autres, d’indiquer ces rapports souvent très-difficiles à saisir, d’éclaircir, de lier entr’eux par ces rapports finement apperçus la plupart de ces faits, jusqu’alors isolés, obscurs, & d’élever ensuite les vérités qui résultent de cette espèce d’analyse à la plus grande universalité. Mais les érudits ont du moins, dans leurs savantes & pénibles recherches, le mérite de l’exactitude, & il faut avouer que sur ce point important, Brucker & Stanley ne sont pas tout à-fait exempts de reproches. Souvent même leurs extraits sont très-incomplets, soit que ne sentant pas la finesse ou la profondeur de certaines idées des anciens, ils n’aient pu les recueillir, soit qu’ils aient passé trop légérement sur les endroits de leurs écrits, où ces idées se trouvent jettées comme par hasard, & présentées même avec une force d’obscurité qui accompagne quelquefois les idées générales ; obscurité qu’on ne parvient pas à dissiper par les secours réunis de l’érudition & des langues anciennes ; car selon la remarque judicieuse de Bayle, ceux qui excellent dans les langues & dans les matières de faits, ne sont point forts en raisonnement.

  1. Sumite materiam vestris, qui scribitis, æquam
    Viribus ; & versate diù quid ferre recusent,
    Quid valeant humeri.

    De Art. Poet. vers. 38, & seqq.
  2. Lorsque Voltaire fait dire par un de ces savans :
    » Le goût n’est rien ; nous avons l’habitude
    » De rédiger au long, de point en point,
    » Ce qu’on pensa ; mais nous ne pensons point ».

    Ce n’est pas seulement une excellente plaisanterie, c’est encore une de ces vérités générales qui ont leurs exceptions comme toutes celles de ce genre.