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PRÉLIMINAIRE

précédée d’une étude suivie, & d’une analyse exacte de tous les auteurs cités par Brucker & par Stanley ; & cette nouvelle route étoit certainement la meilleure & la plus sûre, mais il s’agit moins ici de ce que Diderot avoit dessein de faire, que de juger ce qu’il a fait.

Chargé de la description des arts & métiers, dont il a exposé avec tant d’exactitude & de clarté[1] la théorie & les procédés ; maîtrisé d’ailleurs par des circonstances difficiles qui le forcoient de s’occuper indistinctement d’un grand nombre d’objets divers, souvent disparates, & auxquels il étoit plus ou moins étranger[2] : tourmenté sur-tout par l’impatience peu réfléchie des souscripteurs toujours pressés de jouir, & à qui en général il importe trop peu qu’un ouvrage soit bien ou mal fait, pourvu que les volumes dont il doit être composé, & qu’on leur a promis, se succèdent rapidement ; Diderot crut pouvoir suivre Brucker sans craindre de s’égarer sur ses traces ; il supposa qu’un livre qui avoit couté quarante ans de lectures & de recherches[3] à son auteur, ne devoit rien laisser à desirer sur la matière qui en faisoit l’objet ; & cette confiance que l’érudition de Brucker lui inspira d’abord, jointe au peu de tems que lui laissoient d’autres travaux qu’il s’étoit réservés en qualité d’éditeur, le détermina à se borner en partie à la fonction d’interprête. En effet, ses extraits ne sont souvent que la traduction de ceux de Brucker, dont il a même adopté l’ordre, la méthode & les divisions. Il a seulement eu l’art d’y répandre avec autant de goût que de sobriété, quelques unes de ces vues ingénieuses & fines, de ces pensées nouvelles & hardies, de ces réflexions profondes, telles qu’en en trouve dans tous ses ouvrages, & qui caractérisent particulièrement ce philosophe éloquent. Ce sont ces vues, ces idées,

  1. Voyez l’article Bas (métier à) l’article Velours & dans un autre genre, non moins difficile la belle description de la machine arithmétique de Pascal.
  2. C’est ce qu’il fait entendre assez clairement dans le passage suivant :

    « Nous avions espéré d’un de amateurs les plus vantés, l’article Composition en peinture.(M. Watelet ne nous avoit point encore offert ses secours.) Nous reçûmes de l’Amateur deux lignes de définition, sans exactitude, sans style & sans idées, avec l’aveu humiliant qu’il n’en savoit pas davantage ; & je fus obligé de faire l’article Composition en peinture, moi qui ne suis ni amateur ni peintre. »

    Remarquons, en passant, que cet article est très-beau, qu’il est rempli d’excellentes observations sur l’art, & qu’il n’y a point d’amateur, ni d’artiste capable de le faire aussi bien.

  3. Voici ce que Brucker lui-même dit d’une nouvelle édition qu’on lui proposoit de faire de son ouvrage.

    Quam licet ingravefscens Senectus annorumque canities nobis difficilem redderet, manum tamen retrahere voluimus, cum in quadraginta annorum spatio, quo hoc historiæ philosophicæ saxum volvimus continua lectiones & usu nobis observationes multæ enatæ essent, quibus historiam hanc philosophiæ criticam perfici augerique posse, & in nonnullis emendari suaremus persuasissimi, &c. Brucker, Præfat. secund. edit.