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iv
DISCOURS

qu’à ce qu’ils rencontrent celle qui est la plus commode pour eux, & qui finissent toujours par la trouver. Pour se convaincre de la vérité de cette observation, il suffit de lire les éloges que Fontenelle, Mairan, d’Alembert, & Condorcet nous ont donnés des hommes célèbres dans les sciences & dans les lettres : on voit par l’histoire des premières années de leur vie, presque toujours décisives pour le caractère, comme pour la sorte de gloire & d’illustration à laquelle on est nécessairement destiné, qu’il n’en est aucun qui après avoir lutté plus ou moins long-tems contre les divers obstacles qui s’opposoient à ses progrès, n’ait fini par en triompher, par suivre cette première & vive impulsion de la nature, plus forte, plus impérieuse que la volonté ou l’intérêt des parens, & par se mettre enfin, un peu plutôt, un peu plus tard, à sa vraie place.

Cessons donc de croire que le tems employé à l’étude de la scholastique & de la théologie, ait été perdu pour la culture des sciences des lettres & des arts. Ceux qui dans les quinzième & seizième siècles se sont occupés des catégories, des quiddités, des formes subftantielles, de l’universel de la part de la chose, de la distinction de l’Ens per se & de l’Ens per accidens & de tant d’autres sottises n’avoient que la sorte d’esprit propre à ce genre d’escrime & auroient parcouru sans gloire une autre carrière. À l’égard de la Théologie, je ne connois qu’un seul grand homme, véritablement tel, que le christianisme ait enlevé aux sciences, & dont il ait, pour ainsi dire paralysé tout-à coup la raison & le génie : & cet homme unique sous plusieurs rapports, est l’inventeur du triangle arithmétique ; c’est l’auteur immortel du traité de la roulette & de tant d’autres découvertes aussi ingénieuses & aussi utiles ; en un mot, c’est Pascal. C’eet lui qu’on peut appeller un illuftre martyr de la foi chrétienne car, pour l’observer ici en passant, qu’est-ce dans ces anciens fanatiques, dont la plupart ayant embrassé le christianisme, sans examen y tenaient bien moins par conviction que par opiniâtreté ) que le sacrifice de quelques années d’une vie pauvre, obscure, souvent pénible pour eux mêmes & inutile aux autres, auprès de celui de la gloire, du plaisir si doux, si pur d’être utile à l’espèce humaine, & de se voir, en prolongeant ses regards dans l’avenir, l’objet de l’admiration, de la reconnoissance & du respect de la postérité ?

Il y a d’ailleurs entre l’auteur éloquent des lettres provinciales, & ceux qu’on appelle en sorbonne de grands théologiens, une autre différence très-remarquable ; c’est qu’en transportant par la pensée Pascal dans le siècle d’Euclide, d’Apollonius ou d’Archimède, on le verra successivement inventer la nouvelle analyse, simplifier, perfectionner les méthodes, & s’élever en même-tems aux concepts les plus hardis aux résultats les plus importans de la philosophie rationelle : au lieu qu’en plaçant avant l’établissement du christianisme, & l’invention de la théologie Arnaud, Nicole, Bossuet, Clarke, Ditton, Cudworth & tant d’autres quos fama obscura recondit, on ne fera jamais de ces sophistes plus ou moins habiles, de ces grands diseurs d’inutiles fadaises, ni des philoso-