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V.

VOYAGES. La dernière chose à laquelle on ]

songe ordinarement dans l’éducation d’un jeune gentilhomme

, c’est à le faire voyager. On croit communément que c’est par-là qu’on peut mettre la dernière main à cet important ouvrage , 8c

rendre un jeune homme entièrement accompli. J’avoue que les voyages dans des pays étrangers sont d’une fou grande utilité ; mais je crois que le temps qu’on choisit d’ordinaire pour envoyer les jeunes gens hors de chez eux , est cause , entr’autres choses, qu’ils sont moins en état de profiter de leurs voyages. Tous les avantages qu’on se propose dans cette occasion , peuvent se réduire à ces deux , qui sont les plus importuns : le premier consiste à apprendre des langues étrangères , 8c l’autre à se rendre plus sage 8c plus prudent,

en conversant avec des hommes

8c des peuples qui n’ont ni le même tempérament ni les mêmes moeurs , 8c qui fur - tout différent par tous ces endroits des personnes de fa paroisse 8c de son voisinage. Mais depuis le.ze ans jusqu’à vingt , qui est le temps qu’on employé d’ordinaire

à faire voyager les jeunes

gens , c’est précisément alors qu’ils sont moins propres que jamais à recueillir ce double fruit de leurs voyages. Le véritable temps pour apprendre des langues étrangères, 5c pour s’accoutumer à les prononcer comme il faut , devroit être , à mon avis , depuis sept ans jusqu’à quinze ou seize ; 8c alors il est nécessaire Sc utile à des jeunes gens de cet âge-là d’avoir auprès d’eux un gouverneur qui avec ces langues puisse leur enseigner d’autres choses. Mais de les retirer d’auprès de leurs parens pour les envoyer dans des lieux éloignés sous la conduite d’un gouverneur,

dans le temps que se croyant hommes faits , ils s’imaginent

n’avoir plus besoin

de gouverneur , quoique dansde fond ils n’ayent ni assez de prudence ni assez d’expérience pour

se conduire

eux-mêmes , c’est les exposer aux plus grands dangers qu’ils puissent courir dans to.it le cours de leur vie , lorsqu’ils sont le

moins en état de les éviter. Avant qu’un enfant ait atteint cet âge pétulant 8c plein de feu, un gouverneur pourra prendre quelque autorité fur lui. On peut compter que jusqu’à l’âge de quinze eu seize ans, il se laissera conduire à son gouverneur malgré la rudesse de son tempérament & Innpreísion

que l’exemple des autres enfans pourroit faire fur son elpiit. Mais eníuite, lorsqu’il commence à fréquenter des personnes faites, & s’imaginer qu’il leur ressemble entièrement ; lorsqu’il vient a se plaire aux vices des hommes, à s’en faire honneur , Sc à se figurer qu’il lui feroit honteux d’êrre plus long tems soumis à la censure Sc à la conduite d’autrui, que peut-on espérer des soins d’un gouverneur , quelcuie soigneux & prudent qu’il soit, dans ce temps la , dis-je , qu’il n’a pas le pouvoir de contraindre son élevé à lui obéir ; Sc que son élevé, peu disposé à le laisser persuader par ses raisons, est entraîné par la fougue de son tempérament Sc par le torrent de la coutume, à suivre l’exemple de ses camarades qui ne sont pas plus sages que lui, bien-loin d’écouter les sages conseils de son gouverneur

qu’il ne regarde plus que comme lennemi de fa liberté ? Et quand est-ce , je vous prie , qu’un homme est plus en danger de sc perdre que lorsqu’il est intraitable 8c sans expérience ì

C’est là fans doute le temps de fa vie cù il a le plus de besoin d’être sous la conduite de ses parens Sc de ses amis. Dans la première jeunesse l’homme est moins exposé 8c plus aisé à gouverner à cause de la souplesse de son tempérament ; 8s après qu’il a passé cet âge où les passions sont, pour ainsi dire , fur le trône, la raison 8c la prudence commencent un peu à prendre le dessus dans son esprit, 8c à lui ©uvrir les yeux fur ses véritables intérêts. Ainsi le temps qui me paroîtroit le plus propre pour envoyer un jeune homme hors de son pays, c’est , ou lorsqu’il feroit fort jeune en le mettant entre les mains d’un gouverneur, le plus capable de cet emploi qu’on pourroit trouver ; ou bien lorsqu’il feroit un peu plus âgé fans lui donner aucun gouverneur ; lors, dis-je, qu’il feroit en âge de sc gouveuner lui-même, 8c d’observer ce qu’il trouveroit dans les pays étrangers, qui feroit digne de remarque , 8c dont la connoissance pourroit lui être utile après son retour dans fa patrie ; 8c qu’étant bien instruit des loix, des coutumes, des avantages, Sc des défauts naturels Sc civils de son propre pays , il pourroit donner quelque chose en échange aux étiangers de la conversation desquels il éspéreroit recueillir quelques lumières.

C’est, je crois, faute de prendre ces précautions qu’il arrive que tant de jeunes gentilshommes retirent si peu de fruit de leurs voyages. Que s’ils reviennent chez eux avec quelque connoissance des lieux 8c des peuples qu’ils ont vus , ils n’en rapportent

souvent autre chose que ladmiration des plus mauvaises 8c des plus frivoles modes qu’ils aient rencontrés dans les pays étranger !, conservant le goût & le souvenir des objets cui ., ont d’abord captivé leur liberté} plutôt que de :e