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PRÉLIMINAIRE.

On voit quelquefois briller des étincelles de sens & de raison, qui semblent indiquer que dans les impositions on consulte les facultés des contribuables, qu’on en calcule le poids sur leurs forces, & qu’on le combine avec les ménagemens dûs aux sources de la richesse publique ; mais cette clarté passagere se dissipe presque aussi-tôt. Le fisc, armé de la hache du pouvoir, menace les propriétés, envahit les revenus, & s’empare de la portion la plus claire des fortunes particulieres, sans s’inquiéter des moyens de reproduction, & sans être arrêté par le désespoir des peuples. Telle fut la situation du royaume sous les règnes de Philippe-le-Bel & de Louis X. Ces jours désastreux se renouvellerent sous Charles V & son successeur ; le fardeau des charges étoit accablant : il fut sensiblement allégé sous le règne de Louis XII : ce bonheur, trop rapide, disparut avec ce bon prince, & ne reparut que dans un intervalle très-court, sous Henri IV.

La lumiere dont l’aurore avoit brillé sous François Ier, s’étendit à toutes les sciences & à tous les arts ; mais celui de la finance ne se perfectionnoit qu’en créant de nouveaux impôts sous des noms jusqu’alors inconnus, & en multipliant les précautions & les peines, pour exiger plus rigoureusement le paiement des anciens. Sully gouverne les finance, & la nation sent avec plaisir son existence. Le fanatisme détruit tout son espoir. Une minorité orageuse la replonge dans la détresse. L’excès du malheur produit l’excès de la licence. La conjuration est générale contre les revenus publics. Enfin, Colbert arrive, & pose les fondemens de notre prospérité, en agrandissant le plan déja tracé par le vertueux Sully dans l’administration des finances. Sans doue que les impôts ne furent ni moins nombreux, ni moins considérables qu’auparavant, sur-tout à la fin du dernier siecle ; mais les peuples eurent plus de ressources pour les payer, plus de moyens pour arriver à une aisance qui s’est toujours accrue.

Il est probable que cette heureuse révolution, due en partie aux grands principes adoptés par Sully & Colbert, fut encore favorisée par l’élévation & l’agrandissement des colonies de l’Amérique. Elles procurerent à toute l’Europe une augmentation de richesse, en donnant au commerce une plus grande activité, qui multiplia les hommes & les espèces. Mais cette augmentation de fortune, loin d’opérer constamment la félicité des peuples, ne manquera pas de leur devenir funeste, si les gouvernemens ne savent jamais mesurer leurs dépenses sur leurs revenus, & sur l’amélioration successive que ces revenus peuvent recevoir de l’accroissement de la richesse publique ; si toujours prodigues d’un vain faste, & avides de la fausse gloire des armes, ils continuent de sacrifier les fruits de plusieurs années, au besoin du moment, & étouffent ainsi les générations futures, sous le joug qui accable les générations présentes.

Quel peut être le remede à ce mal ? Ce seroit de trouver dans la science des finances une forme d’imposition qui, sans altérer la liberté des citoyens, & en étendant celle de l’agriculture & du commerce, pût assurer à l’Etat, un revenu graduel qui suffît pour tous les tems & pour tous les besoins.

On ne dira pas que cet avantage se rencontre en France dans le régime actuel des finances ; car, parmi la multitude de droits & d’impôts qui le constituent, plusieurs portent directement sur la culture. Pour les supprimer ou les modifier, il faut trouver des remplacemens. Il ne paroît pas qu’on puisse y parvenir, sans établir un nouveau systême de finances, qui, loin de contrarier ou d’éloigner la félicité publique, tendre à l’opérer, en faisant contribuer chaque membre de la société dans la juste proportion de ce qu’il possède.

On croit appercevoir deux moyens d’amener cet utile changement, sans secousse, & sans priver l’Etat de la moindre portion de son revenu. Le premier, de faire faire un cadastre général, à la faveur duquel on pourroit rendre la taille