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prince. Tous les gens de négoce, portent sur eux des petites balances d’une grande précision, qui servent à solder leurs marchés.

L’argent qui entre dans un pays ne peut pas être considéré comme un profit de commerce, parce qu’il faudroit supposer en même tems que cet argent est une perte pour d’autres pays. Au contraire, l’Espagne & le Portugal, qui fournissent l’Europe d’argent, loin d’éprouver une perte, par l’exportation de leur argent, y gagnent ; car cette perte devient l’échange raisonnable d’un métal stérile, contre des jouissances.

L’argent tiré des mines de l’Amérique, transporté en Europe, de-là encore envoyé à l’Orient, a favorisé la navigation de l’Europe. (Esprit des loix, liv. 22, chap 5). C’est une marchandise de plus que l’Europe reçoit en troc de l’Amérique, & qu’elle envoie en troc aux Indes. Une plus grande quantité d’or & d’argent est donc favorable, lorsqu’on regarde ces métaux comme marchandises ; elle ne l’est point, lorsqu’on les regarde comme signes, parce que cette qualité est fondée sur leur rareté.

Avant la premiere guerre punique, (on la place en 264) le cuivre étoit à l’argent, comme neuf cent soixante est à un. Il est aujourd’hui, comme soixante-treize & demi est à un. Quand la proportion seroit comme autrefois, l’argent n’en feroit que mieux sa fonction de signe.

M. Hume, dans un de ses Discours politiques, édition de 1754, a consacré un chapitre, à traiter de l’argent. Il y réfute l’opinion de M. Melon, qui, dans son Essai politique sur le commerce, au chap. 15, a pensé que l’argent a une valeur intrinseque numéraire, par le passage suivant, tiré d’un ouvrage de Loke. « L’argent ne sert point au commerce simplement, comme mesure ou comme les jettons. Il sert par lui-même, de gage & de sûreté ; c’est pourquoi tous les moyens qu’on peut mettre en œuvre, pour le multiplier fictivement, en fabriquant des billets, ne nous empêchent pas d’être pauvres, mais nous cachent, pour quelque tems, notre pauvreté ».

« Une grande population, dit encore M. Hume, (pag. 98, tom. premier édition in-12 de 1754) une grande industrie sont d’un avantage certain, dans tous les cas, au dedans & au dehors, dans le particulier & dans le public ; mais la plus grand abondance d’argent est limités dans ses usages, & peut même quelquefois être nuisible à un état dans son commerce avec les étrangers… Lorsqu’une nation a pris le dessus sur une autre dans le commerce, il est fort difficile pour la derniere, de regagner ce qu’elle a perdu, à cause de la supériorité de l’industrie de la premiere, & des plus grands fonds dont ses marchands sont en possession, & parce qu’ils peuvent se borner à de moindres bénéfices. Il est vrai que ces avantages sont, en quelque sorte, compensés par le bas prix du travail, dans chaque nation qui n’a pas un commerce étendu, & chez laquelle n’abonde par l’argent… On peut observer en général, que la cherté de toute chose, que produit l’abondance de l’argent, est un désavantage qui suit un commerce établi, & qui y met des bornes dans tous les pays ; parce qu’elle sait que les états les plus pauvres, peuvent vendre à plus bas prix dans tous les marchés étrangers ».

» Ce fait m’a jetté dans un grand doute sur l’utilité des banques & des papiers de crédit, qui passent si généralement pour être avantageux à toute nation ; car si les denrées & le travail deviennent plus chers par l’augmentation du commerce, c’est, à beaucoup d’égards, un inconvénient qu’on ne peut éviter, & qui est l’effet de la richesse publique, à laquelle tendent tous nos desirs. Cet inconvénient est, à la vérité balancé, par l’utilité que nous retirons, de la possession de ces précieux métaux, & par le poids qu’ils donnent à la nation, dans toutes les guerres étrangeres & dans les négociations ; mais je ne vois point de raisons pour accroître cet inconvénient, par une monnoie contrefaite, que les étrangers ne veulent pas recevoir, & que quelque grand désordre dans l’état, réduiroit à rien.

» Nous pouvons conclure de ce raisonnement, qu’à l’égard du bonheur intérieur d’un état, il importe peu, que l’argent y soit en plus ou moins grande quantité. La bonne police du gouvernement consiste uniquement, à faire, s’il est possible, qu’il aille toujours en augmentant, attendu que, par ce moyen, il tient en haleine l’esprit d’industrie, & qu’il augmente le magasin de travail, qui fait le pouvoir réel & les vraies richesses d’une nation.

» En effet, une nation dont l’argent diminue, est en ce moment plus foible & plus misérable, qu’une autre nation, qui n’a pas plus d’argent, mais qui est en train de l’augmenter.

» Dans un pays où l’argent est rare, le prince ne peut lever que peu ou point de taxes, & seulement de la même maniere ; & comme des impositions ainsi payées, ne peuvent être que médiocres, un pareil état, n’a que peu de force au dedans ; il ne peut entretenir des flottes & des armes, aussi loin que si l’argent étoit abondant.

» C’est une maxime évidente, que le prix de chaque chose dépend de la proportion entre les denrées & l’argent, & que toute altération un peu sensible, sur l’un ou l’autre sujet, a le même effet de hausser ou diminuer les prix. Augmentez les denrées, elles deviennent à meilleur marché ; augmentez l’argent, elles haussent de valeur.

» Il n’est pas moins certain, que les prix ne dépendent pas tant, de la quantité absolue d’argent & de denrées qui sont dans une nation, que de la quantité d’argent qui circule, ou de denrées qui se portent au marché. Car si l’argent est ren-