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ALS

La résistance alors prend le nom d’une noble fermeté ; & les passions secondées par le talent, transforment les droits les mieux fondés en despotisme, changent les meilleures intentions en vexations, & les plus sages réglemens en loix injustes & déraisonnables.

On a vue en effet des habitans de la Bretagne & de la Lorraine, se permettre, en 1761, les plus vives déclamations contre le projet du tarif unique & général dont le ministere avoit annoncé l’établissement.

Voyez Tarif.

On peut compter que de pareilles dispositions sont dans le cœur de tous les habitans des provinces privilégiées, ou qui croient avoir des privilèges. La résistance, les murmures se manifestent au premier mouvement qui paroît blesser des franchises & des immunités que l’on s’accoutume aisément à regarder, comme des droits certains & irrévocables. Les clameurs se multiplient ; elles jettent même dans l’intérieur du royaume un trouble toujours contraire aux desseins du gouvernement, & qui influe sur d’autres opérations. Souvent même il en résulte que l’on ne fait pas le bien dont on s’étoit si fort occupé, & que l’on fait un mal auquel on n’avoit pas pensé.

Ces sortes de plaintes seroient d’autant plus à craindre de la part de l’Alsace, qu’elles pourroient paroître fondées, en y ajoutant l’observation qu’elle est une frontiere, qu’elle sert de rempart au reste du royaume ; qu’en tems de guerre elle est chargée de convois & de travaux considérables pour les fortifications, les ponts & les grands chemins.

Si ces considérations ne sont pas d’un grand poids, il en est d’autres pour déterminer à traiter avec ménagement & modération une province qui n’a pas toujours appartenu à la France ; qui est voisine d’une puissance avec laquelle elle conserve des liaisons par sa langue, par ses mœurs & par sa religion. Quoique les Alsaciens témoignent en général pour les François une affection qui paroît d’autant plus sincere qu’elle est moins revêtue des dehors de la politesse & du vernis des complimens, cependant on pourroit tout craindre d’une commotion qui les rameneroit au goût de l’ancienne domination. Les caracteres les plus doux deviennent les plus dangereux, quand ils sont une fois aliénés. Ils diroient que leur soumission & leur attachement ne doivent pas être des raisons pour leur ôter des jouissances dans lesquelles ils sont nés, & auxquelles ils sont accoutumés. Au projet de symmétrie & d’uniformité dont on leur vanteroit les avantages pour introduire dans le royaume une harmonie complette ; ils répondroient que l’harmonie ne réside pas dans la ressemblance & l’uniformité des tons, qu’elle est au contraire dans leur variété & dans l’art de les accorder ensemble, ensorte que sans être les mêmes, chacun en particulier, ils concourent néanmoins tous, à produire l’effet général que l’on s’est proposé.

Il n’est donc pas essentiel pour le bien public, diront-ils, & pour former cet ensemble dont on est si jaloux, que tous les pays d’un même état soient assujettis à la même forme d’administration, aux mêmes droits, aux mêmes précautions ; il suffit que chaque province soit gouvernée comme il convient à sa situation physique & politique, aux productions de son sol, à celles de l’industrie, & enfin comme le demandent le génie & les mœurs de ses habitans. En considérant l’Alsace sous ces différens rapports avec les autres provinces du royaume, il est bon qu’elle soit imposée en proportion & de la maniere dont elle est susceptible. Si ce but est rempli, cette province rentrera comme toutes les autres dans l’harmonie générale, sans qu’elle soit pour cela traitée de la même façon.

Il est juste sans doute que chaque partie de l’état qui participe aux avantages de la nation, contribue, autant & de la maniere qui lui est possible de le faire, au bien général ; mais est-il nécessaire que tous y contribuent d’une maniere uniforme ? La négative semble admissible sur ce point. Il peut même paroître important qu’ils y coopèrent diversement, pour que toutes les vues soient remplies ; car on peut dire de toutes les provinces, comme de tous les habitans qui composent chacune en particulier ; que c’est la variété des secours, du travail & des soins qu’ils mettant dans la société, qui donne les moyens de satisfaire à tout : la variété des besoins exigeant nécessairement diverses formes d’y pourvoir, puisqu’il n’est point de talens, de goûts & de professions qui ne répondent à quelques besoins, il ne faut donc en négliger aucuns pour le bien général, quoiqu’en particulier aucuns ne se ressemblent parfaitement.

Quelques provinces paroissent faire beaucoup pour l’état en payant certains droits, certaines impositions, & cependant elles ne contribuent pas davantage, en proportion, que celles qui paroissent payer moins, parce qu’elles trouvent en elles-même, ou dans leurs alentours, de-quoi se dédommager amplement de ce qui paroît leur coûter le plus.

D’autres pays au contraire semblent pour ainsi dire ne contribuer en rien, ou du moins pour fort peu de chose aux charges de l’état, parce qu’ils ont des privilèges qui les exemptent de certaines impositions ; mais ils en dédommagent par les services qu’ils rendent, par les secours qu’ils fournissent dans les conjonctures les plus intéressantes pour la nation. Les travaux de la culture & de l’industrie y sont troublés & interrompus, tandis que les habitans des provinces de l’intérieur du royaume se livrent paisiblement à tous les travaux, à tous les arts dont ils ont l’habitude de s’occuper.

En supposant que l’Alsace, dans sa position actuelle, fasse un assez grand commerce extérieur