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ALS

en grand nombre. Toutes ces denrées & marchandises pourroient être utiles à l’intérieur du royaume, où le besoin s’en fait souvent sentir, & l’espece de bois devient de plus en plus rare.

Il seroit donc intéressant d’avoir, dans ces cas, la ressource de l’Alsace. Mais au moyen de la liberté de commerce dont elle jouit, & de sa communication libre avec les étrangers qui l’avoisinent, elle porte au dehors les marchandises qui deviendroient souvent précieuses au dedans du royaume, & elle reçoit en échange non de l’argent, mais des objets des fabriques& des manufactures étrangeres qui sont les mêmes qu’elle trouveroit en France.

Il en résulte l’inconvénient que lorsque nous avons besoin de ces marchandises passée à l’étranger, nous sommes obligés de les racheter fort cher en argent, & que nos manufactures perdent le débouché qu’elles trouveroient en Alsace, si elle n’étoit pas apprivisionnée par les étrangers.

Cette province ne seroit donc pas fondée à se plaindre si, d’après les vues du gouvernement, elle étoit incorporée au reste du royaume, & si on établissoit sur ses frontieres le tarif uniforme qui doit faire tomber toutes ces barrieres intérieures qui séparent une province d’une autre province, & des sujets d’un même état, en font des étrangers.

En composant ce tarif de droits si légers qu’ils deviennent insensibles, & qu’ils sont un moyen seulement de procurer au gouvernement une connoissance exacte & détaillée du genre & de la masse de chaque branche de commerce, ce parti ne pourroit occasioner ni clameurs ni résistance ; la province elle-même se trouveroit à portée de juger en connoissance de cause des avantages qui en résulteroient.

M. de Colbert en étoit très-persuadé, & c’est à quoi tendoient insensiblement toutes ses opérations. On voit en effet que par la déclaration du 12 janvier 1663, ce ministre commença par faire constater l’état & la quotité des péages qui sont dûs sur toutes les marchandises qui entrent dans la haute & basse Alsace, ou qui en sortent.

Un autre arrêt du conseil du 3 octobre 1680, supprima tous les bureaux qui étoient dans le milieu de la haute Alsace, & en établit d’autres sur les frontieres de la haute & basse Alsace, tant du côté des Suisses, de la Lorraine & du Palatinat, que du côté de la ville de Strasbourg, qui n’étoit point encore sous la domination du roi, & qui ne s’y soumit que le 30 septembre 1681, par une capitulation particuliere.

En conséquence, le 13 juin 1682, un nouvel arrêt ordonna que toutes les marchandises sortant de cette ville pour la consommation de la haute & basse Alsace, acquiteroient les droits de péages ; que celles qui n’y arriveroient que pour une destination ultérieure, pouroient en obtenir une modération de gré à gré ; mais que les marchandises qui de ces cantons viendroient à Strasbourg, seroient déchargées de tous droits.

Par arrêt du 20 février 1683, on établit un bureau dans la ville de Strasbourg, pour y percevoir les droits sur les marchandises qui en sortiroient pour la haute & basse Alsace, & on accorda l’exemption à toutes celles qui y entreroient à la destination de cette ville.

Le même réglement affranchit également toutes les marchandises, sortant de Strasbourg, pour passer dans les pays hors de l’enceinte de l’Alsace ; assujettit à huit sols par quintal, pour tous droits, toute sorte de marchandise indistinctement qui sortiront de Strasbourg pour le pays étranger, en passant par la basse Alsace. Les bourgeois domiciliés de Strasbourg, furent autorisés en même tems à porter des marchandises aux foires & marchés d’Alsace, sous la condition d’en faire au bureau des fermes la déclaration & la soumission de payer, à leur retour, les droits de celles de ces marchandises qu’ils ne rapporteroient pas.

On voit par toutes des dispositions, que M. de Colbert ne perdoit point de vue le plan qu’il avoit formé d’entourer notre commerce du côté de l’étranger ; de débarrasser l’intérieur du royaume des entraves contraires à la circulation, & qu’après avoir commencé en 1663 par des opérations préparatoires pour l’Alsace, développé ses vues dans le tarif de 1664, il revenoit à cette province en 1680, 1682 & 1683, pour amener successivement au même point tout ce qui pouvoit être susceptible de la même forme d’administration ; sans que l’on puisse néanmoins assurer que M. de Colbert fût décidé à porter le tarif de 1664 jusques sur cette frontiere, ou qu’il eut préféré de faire pour l’Alsace un tarif propre & particulier, comme il avoit fait pous la Flandre en 1671.

En suivant le même plan, il semble que l’on ôteroit aux habitans tout motif de se plaindre ; car pourquoi toléreroit-on pour eux des usages qui nuisent à tous les autres ? On doit sans doute les favoriser, les ménager & les protéger autant & de la maniere que peuvent le permettre les loix générales & l’harmonie du gouvernement ; mais est-il juste que ces faveurs, ces égards soient accordés au préjudice des autres sujets du même prince, de leurs freres ? N’est-il pas plus équitable que les graces que l’on peut faire, & que l’on convient qu’ils méritent, se prennent sur les étrangers, leurs ennemis par état, plutôt que sur leurs compatriotes, dont ils ne sauroient multiplier les avantages sans augmenter en proportion ceux dont ils jouissent dès à présent ? Pourquoi voudroient-ils regarder comme une peine & comme une sorte de vexation ce qui tendroit uniquement à rétablir le bon ordre, tandis qu’ils regardent comme un bienfait, ce qui le trouble & l’intervertit.

A ces raisons, dont la force est sensible, on peut ajouter encore, celles de l’intérêt général de l’état, & le droit du souverain, de faire tous les établissemens propres à le favoriser.

On ne peut pas toutefois se dissimuler, qu’il n’est rien que ne puisse empoisonner & présenter, sous une face désavantageuse, la prévention ou l’entêtement.