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compter la subvention par doublement, l’augmentation, &c. A Dieppe, les vins ne peuvent être entreposés que pendant six semaines. Il faut que l’armateur trouve un vaisseau prêt, à point nommé ; que le vent & la marée soient d’accord avec la regle établie ; en vain un négociant aura-t-il reçu des avis favorables pour former une spéculation ; il est presque impossible qu’il en profite ; l’occasion seroit passée avant que les vins fussent arrivés, & il lui est défendu de les entreposer pour réaliser ses spéculations ; il est de toute vérité que jamais le fermier n’a perçu dix pistoles de cette maniere, que le roi n’en ait en même tems perdu plus de quatre cents.


Un autre ouvrage très-récent, offre un tableau piquant du régime des aides ; des devoirs qu’il impose ; des formalités qu’il prescrit. Si les couleurs en sont un peu vives & fortes, c’est sans doute que l’écrivain les a jugées plus propres à opérer la conviction des maux que cause cette imposition, & à inspirer une ferme volonté d’y remédier.

Cet auteur suppose avoir une conversation avec un visir, ou ministre, qui veut bien lui expliquer les moyens dont il se sert pour lever les contributions nécessaires au soutien de l’état.

Le Visir.

Après avoir imposé les marchandises à l’entrée, à la sortie du royaume, au passage d’une province en une autre, je suis à la piste le conducteur qui les voiture, dès le lieu où il les a chargées. Lorsque le besoin le pousse dans une hôtellerie ; au moyen d’une association avec le maître…

L’Auteur.

Quoi, Visir, le cabaretier est ton associé !

Le Visir.

Assurément. Est-ce qu’il y a quelque chose de vil quand il s’agit du maintien de la force publique, & par conséquent de la richesse du fisc ? Au moyen de cette association, je reçois une partie du prix de la boisson consommée.

L’Auteur.

Mais comment te trouves-tu l’associé d’un aubergiste, d’un tavernier, dans le débit de ses boissons ? Serois-tu son pourvoyeur ?

Le Visir.

Moi, son pourvoyeur, je m’en suis bien gardé. Où seroit le bénéfice de vendre le vin que le vigneron m’auroit donné pour le tribut de son industrie ? J’entends un peu mieux mes affaires. J’ai d’abord avec le propriétaire ou le vigneron, avec le brasseur de biere, le distilateur d’eau-de-vie, une association par laquelle j’obtiens une partie du prix qu’ils vendent leur boisson à l’aubergiste, au cabaretier, au détailleur. J’en ai ensuite avec celui-ci une seconde, par lequel il me compte à son tour une portion du prix qu’il reçoit du consommateur, sur lequel il ne manque par de reprendre ce qu’il me donne.

L’Auteur.

Cela est très-beau, il faut en convenir : mais, Visir, comment assistes-tu à tous les marchés de boissons qui se font dans l’Empire ? Comment n’es-tu pas pillé par ce cabaretier de mauvaise foi ? Après ce que tu m’as certifié, je ne doute de rien, mais je suis curieux.

Le Visir.

C’est ici que je paroîtrai profond. D’abord, nul ne peut déplacer une piece de vin, de cidre, de biere, d’eau-de-vie, soit du lieu de la récolte ou de la fabrication, soit du cellier, soit de la cave, soit pour vendre, soit pour envoyer, n’importe à quelle destination, sans ma permission par écrit. Je sais par-là ce qu’elles deviennent. Si l’on en rencontre quelqu’une sans ce passeport, je m’en empare, & le propriétaire me paie sur le champ, en sus, le double ou le triple de la valeur.

Ensuite les mêmes agens qui circulent nuit & jour de toutes parts, pour m’assurer de la fidélité des propriétaires, marchands en gros, & vendans en détail, à tenir leur pacte d’association, descendent tous les jours, plutôt deux fois qu’une, chez chaque cabaretier ou aubergiste, sondent les tonneaux, comptent les bouteilles, & pour peu qu’on soit soupçonné de quelque escamotage sur ma part, on en est si sévérement puni, qu’on n’en est pas tenté davantage.

L’Auteur.

Mais, Visir, pour te plaire, tes agens ne sont-ils pas autant de petits tyrans subalternes ?

Le Visir.

Je n’en doute pas, & je les en recompense bien. Ils reçoivent une partie dans le produit des saisies & confiscations auxquelles ils ont occasion de procéder : ainsi l’intérêt est leur éguillon.

L’Auteur.

A merveille. Mais, Visir, ces associations avec le propriétaire, le marchand en gros, le détailleur, son chose bien étrange.

Le Visir.

Vous n’y pensez pas. Les miennes sont autorisées par la loi & par l’institution sacrée de la force publique. Rien ne vous en impose-t-il donc ? Venez maintenant aux portes de la cité, où je ne suis pas moins admirable. Rien n’y entre sans verser dans mes mains. Si ce sont des boissons, elles contribuent, non en raison de leur prix, comme dans mes autres arrangemens, mais en raison de la quantité, & soyez sûr que je ne suis pas dupe.