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de nouvelles dépenses publiques, que d’augmenter la taille, impôt arbitraire, difficile à répartir, & où le peuple est presque toujours sacrifié ; d’ailleurs la trop grand influence de la noblesse est facile à éviter par une sage constitution & un équilibre raisonnable entre les différens ordres, d’autant plus que le clergé, qui ne paie pas de vingtieme, partage, par la taille de ses fermiers, les intérêts des roturiers, en même tems que les devoirs de son état l’attachent à la protection du pauvre. Enfin, quelqu’excessifs que soient les impôts, c’est encore moins de leur étendue que naissent les plaintes & les clameurs, que du défaut de base solide dans les répartitions, & du désespoir qu’inspire la difficulté d’obtenir justice.

D’ailleurs, comme les assemblées ne pourroient établir aucune base de répartition, ni aucune forme de perception, sans l’approbation de votre majesté, il seroit bien aisé de juger de l’équité des principes qu’on voudroit adopter.

Ces bases fondamentales sont bientôt mesurées, parce qu’elles tiennent à des idées générales que le bon sens & l’esprit de justice peuvent aisément reconnoître ; mais dans l’application de ces mêmes principes à l’exécution, c’est dans l’administration de tout ce qui est indéterminé, que votre majesté ne peut se reposer avec tranquillité sur l’esprit ou sur la volonté d’un seul homme, ainsi qu’on y est contraint dans les pays d’élection.

Ce genre d’administration ne seroit supportable qu’autant que les impôts seroient soumis à des regles absolument simples ; mais lorsqu’une longue suite de fautes ou de malheurs a obligé d’étendre & de diversifier les impôts de toutes les manieres, & lorsque l’esprit fiscal, après avoir tout parcouru, a su ménager encore un vague dans l’exécution dont il est facile d’abuser, le dernier des maux alors est une administration arbitraire qui affecte l’imagination des contribuables & leur présente sans cesse de nouvelles craintes.

Ainsi, même dans les pays les plus despotes, on ne connoît pas cette maniere de soumettre la répartition des impôts aux décisions d’un seul commissaire ; & bien loin que cette méthode soit de l’essence de la monarchie, ce seroit plutôt dans les gouvernemens où la souveraineté est divisée entre plusieurs, qu’on pourroit l’employer avec moins d’inconvéniens. L’administration ne peut échapper à la surveillance générale, & il peut convenir, pour éviter les chocs & les longueurs, que ce ne soit pas un corps nombreux qui exécute, quand c’est un corps nombreux qui commande ; mais dans un pays monarchique, ou la seule volonté du prince fait la loi, cette même convenance disparoît, & l’inquiétude du souverain doit se borner à être certain que ses intentions justes & bienfaisantes soient remplies, & à prévenir qu’on n’abuse jamais de son autorité. Je me suis encore présenté à moi-même un doute à lever.

La nature des impositions, leur étendue, leur diversité, la bigarrure des formes, des usages, des priviléges & des prérogatives.

Tout cet ouvrage imparfait & successif de l’administration Françoise, en même tems qu’il semble appelr presque dans tous ses points une main habile, présente aussi par-tout des obstacles ? Qui peut dans chaque province les vaincre ou les surmonter plus facilement ? Est-ce un seul homme ? Est-ce un corps d’administration ? C’est un seul homme sans doute, si vous réunissez en lui les qualités nécessaires ; rien n’est plus efficace que le pouvoir dans une seule main ; le choix des délibérations n’arrêtant par la marche, l’unité de pensées & d’exécution rend les suites plus faciles. Mais en même tems que je crois, autant qu’un autre, à la puissance active d’un seul homme qui réunit au génie la fermeté, la sagesse & la vertu, je sais aussi combien de tels hommes sont rares dans le monde ; combien, lorsqu’ils existent, il est accidentel qu’on les rencontre, & combien, après les avoir rencontrés, il est rare qu’ils se trouvent dans le petit circuit où on est obligé de prendre des intendans de province.

L’expérience & la théorie indiquent également que ce n’est pas avec des hommes supérieurs, mais avec le plus grand nombre de ceux qu’on connoît & qu’on a connus, qu’il est juste de comparer une administration provinciales, & alors toute la préférence demeurera à cette derniere : car dans une commission permanente, composée de principaux propriétaires d’une province, la réunion des connoissances, la succession des idées donnent à la médiocrité même une consistance ; le concours de l’intérêt général vient augmenter la somme des lumieres, & la publicité des délibarations force à l’honnêteté. Et si le bien arrive avec lenteur, il arrive du moins ; & une fois obtenu, il est à l’abri du caprice & se maintient : au lieu d’un intendant, le plus rempli de zele & de connoissances, est bientôt suivi par un autre qui dérange ou abandonne le projet de son prédécesseur.

Je crois donc que le véritable bienfait d’un souverains envers ses peuples, seroit d’ouvrir des voies d’amélioration indépendantes des qualités des hommes auxquels il donnera sa confiance, & il seroit l’heureux effet des administrations provinciales bien constituées.

Au reste, quand on prétendroit que les administrations provinciales ne seroient pas aujourd’hui la maniere la plus convenable de simplifier les finances & d’atteindre le meilleur systême d’imposition, il seroit encore sage de la choisir comme étant celle qui sous un point de vue purement abstrait, paroîtroit préférable, quand même elle trouveroit, à titre de nouveauté, des obstacles d’exécution, d’où pourroit naître le découragement. L’administration montre bien moins d’habileté lorsqu’elle veut exécuter tout-à-coup le plus grand bien qu’elle conçoit, que lorsqu’elle s’en rapproche par degrés, mais plus sûrement, en suivant la route que l’opinion générale a le plus frayée.