Page:Encyclopédie méthodique - Finances, T1.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
ADM

& enveloppent de leur science fiscale des contribuables ignorans, inhabiles à connoître si on les trompe, mais qui le soupçonnent ou le craignent sans cesse. Si ces diverses servitudes peuvent un jour être tempérées ; si d’un pareil chaos il peut enfin sortir un systême simple & régulier d’imposition, on ne peut l’espérer, à travers les obstacles de l’habitude, qu’à l’aide des administrations provinciales, qui en proposeroient successivement les moyens & qui en faciliteroient l’exécution.

En même tems ce qui convient à chaque province en particulier seroit mieux connu.

La France, composée de vingt-quatre millions d’habitans répandus sur des sols différens, & soumise à diverses coutumes, ne peut pas être assujettie au même genre d’impositions. Ici la rareté excessive du numéraire peut obliger à commander la corvée en nature ; ailleurs une multitude de circonstances invitent à la convertir en contribution pécuniaire : ici la gabelle est supportable ; là, des troupeaux qui composent la fortune des habitans, font de la cherté du sel un véritable fléau : ici, où tous les revenus sont en fonds de terre, l’on peut confondre la capitation avec la taille ou les vingtiemes ; ailleurs, de grandes richesses mobiliaires & l’inégalité de leur distribution invitent à séparer ces divers impôts : ici l’impôt territorial peut être fixe & immuable ; là, tout est vignoble, & tellement soumis à des révolutions, que si l’impôt n’est pas un peu flexible, il sera trop rigoureux : ici, les impôts sur les consommations sont préférables ; ailleurs, le voisinage de l’étranger les rend illusoires & difficiles à maintenir.

Enfin par-tout, en même tems que la raison commande, l’habitude & le préjugé sont existans. Cependant c’est l’impossibilité de pourvoir à toutes ces diversités par des loix générales, qui oblige d’y suppléer par l’administration la plus compliquée ; & comme la force morale & physique d’un ministre des finances ne sauroit suffire à cette tâche immense & à de si justes sujets d’attention, il arrive nécessairement que c’est du fond des bureaux que la France est gouvernée ; & selon qu’ils sont plus ou moins instruits, plus ou moins purs, plus ou moins vigilans, les embarras du ministre & les plaintes des provinces s’y accroissent ou diminuent.

En ramenant à Paris tous les fils de l’administration, il se trouve que c’est dans le lieu où l’on ne fait que par des rapports éloignés, où l’on n’a jamais le tems d’approfondir, qu’on est obligé de diriger & discuter toutes les parties de l’exécution appartenant à cinq cents millions d’impositions subdivisées de plusieurs manieres par les formes, les especes & les usages. Quelle différence entre la fatigue impuissante d’une telle administration, & le repos & la confiance que pourroit donner une administration provinciale, sagement composée ! Aussi n’est-il aucun ministre sage qui n’eût dû desirer un pareil changement, si, trompé par une fausse apparence d’autorité, il n’eût imaginé qu’il augmentoit son pouvoir en rapportant tout à un intendant qui prenoit ses ordres, tandis que les Contrôleurs Généraux auroient dûs sentir qu’en ramenant à eux une multitude d’affaires au-dessus de l’attention, des forces & de la mesure du tems d’un seul homme, ce ne sont plu eux qui gouvernent, ce sont leurs commis.

Mais ces mêmes commis, ravis de leur influence, ne manquent jamais de persuader au ministre qu’il ne peut se détacher de commander un seul détail, qu’il ne peut laisser une seule volonté libre pour renoncer à ses prérogatives & diminuer sa consistance : comme si l’établissement de l’ordre & son maintien par les mesures les plus simples, ne doivent pas être le seul but de tous les administrateurs raisonnables.

On apperçoit aisément qu’on peut modifier les détails du plan qui semblera préférable, de différentes manieres, & remplir le but qu’on se propose. Un sage équilibre entre les trois ordres, soit qu’ils soient séparés ou qu’ils soient confondus ; un nombre de représentans qui, sans embarrasser, soit insuffisant pour avoir une garantie du vœu de la province ; des regles simples de comptabilité ; l’administration la plus économe, les assemblées générales aussi éloignées que l’entretien du zele & de la confiance peut le permettre ; l’obligation de soumettre toutes les délibérations à l’approbation du conseil éclairé par le commissaire départi ; l’engagement de payer la même somme d’imposition versée aujourd’hui au trésor royal ; le simple pouvoir de faire des observations en cas de demandes nouvelles, de maniere que la volonté du roi fût toujours éclairée & jamais arrêtée ; enfin le mot de don gratuit absolument interdit, & celui de pays d’administration subrogé à celui de pays d’états ; afin que la ressemblance des noms n’entraînât jamais des prétentions semblables : voilà en abrégé l’idée des conditions essentielles.

Il est aisé de les remplir en rassemblant diverses opinions & les lumieres que peuvent donner la réflexion & l’expérience, sur-tout lorsque l’on n’est gêné par aucune convention intérieure, & que de la part du souverain tout devient concession & bienfaisance.

J’ajouterai encore comme une condition essentielle, que quelque perfection qu’on crût avoir donnée à cette institution nouvelle, il ne faudroit annoncer sa durée que pour un tems, sauf à la confirmer ensuite pour un nouveau terme, & ainsi de suite, aussi long-tems que votre majesté le jugeroit à propos ; de maniere qu’après avoir pris tous les soins nécessaires pour former un bon ouvrage, votre majesté eût encore constamment dans sa main le moyen de le supprimer ou de la maintenir.

Avec une semblable prudence, quel inconvénient pourroit-on craindre, & que de bien au contraire ne doit-on pas attendre d’une pareille expérience ? Déja j’ai indiqué une partie des avantages attachés