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ADM

nable, on ne lui donne à gouverner en débutant qu’une généralité d’une médiocre étendue, il la voit comme un lieu de passage, & n’est point excité à préparer des établissemens dont le succès ne lui sera point attribué, & dont l’éclat ne paroîtra pas lui appartenir. Enfin, présumant toujours, & peut-être avec raison, qu’on avance encore plus par l’effet de l’intrigue ou des affectations que par le travail & l’étude, ces commissaires sont impatiens de venir à Paris, & laissent à leurs secrétaires ou à leur subdélégués le soin de les remplacer dans leur devoir public.

Ces subdélégués n’ont jamais de relation avec leur ministre, même en l’absence de l’intendant qui, dans quelque lieu qu’il soit, retient toujours à lui seul la correspondance ; ainsi ils ne peuvent acquérir aucun mérite direct auprès du gouvernement, ni aucune gloire qui leur soit propre.

Tous ces inconvéniens, qui seroient sensibles dans le tems le plus heureux, deviennent plus aggravans quand les peuples gémissent sous le poids d’impôts accumulés, & quand il est alors si nécessaires d’adoucir, par une attention paternelle, la rigueur de leur sort ; de là cette fermentation générale, & sur la répartition des impositions, & sur les corvées, & sur l’arbitraire absolu, & sur la difficulté d’obtenir justice, & sur le défaut d’encouragement : de là peut-être l’indifférence générale pour le bien de l’état, qui gagne tous les jours.

Le gouvernement, témoin de toutes ces plaintes, ne trouvera jamais que des moyens insuffisans pour y remédier, tant que la forme actuelle d’administrer les provinces n’éprouvera aucune modification. En effet, il est à remarquer qu’il n’y a dans les pays d’élection aucun contradicteur légitime du commissaire départi, & il ne peut même en exister dans l’ordre actuel ; sans déranger la subordination & contrarier la marche des affaires. Ainsi, à moins qu’on ne soit averti par des injustices éclatantes ou par quelques scandales publics, on est obligé de voir par les yeux de l’homme même qu’on auroit besoin de juger. On peut aisément se faire une idée de l’abus & presque du ridicule de cette prétendue administration.

Il vient au ministre des plaintes d’un particulier ou d’une paroisse entiere : que fait-on alors, & qu’a-t-on fait de tous les tems ? On communique à l’intendant cette requête : celui-ci, en réponse, ou conteste les faits ou les explique, & toujours de maniere à prouver que tout ce qui a été fait par ses ordres a été bien fait ; alors on écrit au plaignant qu’on a tardé à lui répondre jusqu’à ce qu’on ait eu pris connoissance de son affaire, & alors on lui transmet comme un jugement réfléchi du conseil, la simple réponse de l’intendant ; quelquefois même, à sa réquisition, on réprimande le contribuable ou la paroisse de s’être plaint mal à propos. Et qui sait s’ils ne se ressentent pas encore d’une autre maniere de leur hardiesse ? car un intendant & ses subdélégués voyant toujours que les requêtes leur sont renvoyées, que leurs décisions sont adoptées & que cette déférence à leurs avis est nécessaire, doivent naturellement mépriser les plaintes auxquelles des corps entiers ne s’associent pas ; voilà pourquoi ils sont si fort redoutés dans les provinces, de la part de ceux qui n’ont pas de relation avec la cour ou avec la capitale.

Quand de longs murmures dégénerent en plaintes générale, le parlement vient se placer entre le roi & ses peuples ; mais ce remede est un inconvénient lui-même, puisqu’il habitue les sujets de votre majesté à partager leur confiance & à connoître une autre protection que l’amour & la justice de leur souverain.

C’est après avoir été frappé de la défectuosité de cette contexture d’administration, que j’ai désiré fortement pour la gloire de votre majesté, pour le bonheur de ses peuples & pour l’accomplissement du devoir de ma place, qu’on pût développer à votre majesté la nécessité de s’occuper essentiellement de cet important objet.

En même tems je sens plus que personne la convenance de n’employer que des moyens lents, doux & sages : il n’est rien où l’expérience n’ajoute encore à l’instruction & à la confiance. Ainsi ce n’est que dans une seule généralité que je proposerois à votre majesté d’introduire un changement qui consisteroit essentiellement dans l’essai d’une administration provinciale ou municipale.

Il est sans doute des parties d’administration qui, tenant uniquement à la police, à l’ordre public, à l’exécution des volontés de votre majesté, ne peuvent jamais être partagées & doivent constamment reposer sur un intendant seul ; mais il en est aussi, telles que la répartition de la levée des impositions, l’entretien & la construction des chemins, le choix des encouragemens favorables au commerce, au travail en général, & au débouché de la province en particulier, qui, soumises à une marche plus lente & plus constante, peuvent être confiées préférablement à une commission composée de propriétaires, en réservant au commissaire départi l’importante fonction d’éclairer le gouvernement sur différens réglemens qui seroient proposés : de cette maniere, votre majesté auroit des garans multipliés du bonheur de ses peuples ; & sans déranger en rien l’ordre public, elle seroit sûre que les tributs nécessaires au besoin de l’état seroient adoucis par la répartition & plus encore par la confiance.

On ne verroit plus cumuler sur le peuple & le poids des impôts & les frais de justice, qui attestent son impuissance, ainsi que les moyens rigoureux qu’on est obligé de mettre en usage.

On délivreroit peut-être insensiblement les habitans de la compagne du joug sous lequel ils vivent.

Subdélégués, officiers d’élections, directeurs, receveurs & contrôleurs de vingtiemes, commissaires & collecteurs de tailles, officiers des gabelles, voituriers, buralistes, huissiers, piqueurs de corvées, commis aux aides, aux contrôles, aux droits réservés ; tous ces hommes de l’impôt, chacun selon son caractere, assujettissent à leur petite autorité