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l’impôt ; en un commerce intérieur et extérieur libre et facile ; en jouissance des richesses annuelles des biens fonds ; en payemens pécuniaires et opulens du revenu et de l’impôt. L’abondance des productions s’obtient par les grandes avances ; la consommation & le commerce soutiennent le débit & la valeur vénale des productions ; la valeur vénale est la mesure des richesses de la nation ; les richesses règlent le tribut qui peut être imposé, & fournissent la finance qui le paye, & qui doit circuler dans le commerce ; mais qui ne doit point s’accumuler dans un pays au préjudice de l’usage & de la consommation des productions annuelles qui doivent y perpétuer, par la réproduction & le commerce réciproque, les véritables richesses.

L’argent monnoyé est une richesse qui est payée par d’autres richesses, qui est pour les nations un gage intermédiaire entre les ventes & les achats, qui ne contribue plus à perpétuer les richesses d’un état lorsqu’il est retenu hors de la circulation & qu’il ne rend plus richesse pour richesse : alors plus il s’accumuleroit, plus il couteroit de richesses qui ne se renouvelleroient pas, & plus il appauvriroit la nation. L’argent n’est donc une richesse active & réellement profitable dans un état, qu’autant qu’il rend continuellement richesse pour richesse ; parce que la monnoie n’est par elle-même qu’une richesse stérile, qui n’a d’autre utilité dans une nation que son emploi pour les ventes & les achats, & pour les payemens des revenus & de l’impôt, qui le remettent dans la circulation ; ensorte que le même argent satisfait tour à tour & continuellement à ces payemens & à son emploi dans le commerce.

Aussi la masse du pécule d’une nation agricole ne se trouve-t-elle qu’à-peu-près égale au produit net ou revenu annuel des biens fonds ; car dans cette proportion il est plus que suffisant pour l’usage de la nation ; une plus grande quantité de monnoie ne seroit point une richesse utile pour l’état. Quoique l’impôt soit payé en argent, ce n’est pas l’argent qui le fournit, ce sont les richesses du sol qui renaissent annuellement : c’est dans ces richesses renaissantes, & non, comme le pense le vulgaire, dans le pécule de la nation que consiste la prospérité & la force d’un état. On ne supplée point au renouvellement successif de ses richesses par le pécule ; mais le pécule est facilement suppléé dans le commerce par des engagemens par écrit, assurés par les richesses que l’on possède dans le pays, & qui se transportent chez l’étranger. L’avidité de l’argent est une passion vive dans les particuliers, parce qu’ils sont avides de la richesse qui représente les autres richesses ; mais cette sorte d’avidité, qui le soustrait de son emploi, ne doit pas être la passion de l’état : la grande quantité d’argent n’est à desirer dans un état qu’autant qu’elle est proportionnée au revenu, & qu’elle marque par là une opulence perpétuellement renaissante, dont la jouissance est effective & bien assurée. Telle étoit sous Charles V, dit le sage, l’abondance de l’argent qui suivoit l’abondance des autres richesses du royaume. On peut en juger par celles qui sont détaillées dans l’inventaire immense de ce prince, indépendamment d’une réserve de 27 millions, (près de 300 millions, valeur actuelle de notre monnoie) qui se trouva dans ses coffres ; ces grandes richesses sont d’autant plus remarquables, que les états des rois de France ne comprenoient pas alors un tiers du royaume.

L’argent n’est donc pas la véritable richesse d’une nation, la richesse qui se consomme & qui renaît continuellement ; car l’argent n’engendre pas de l’argent. Un écu bien employé peut à la vérité faire naître une richesse de deux écus, mais c’est la production & non pas l’argent qui s’est multipliée ; ainsi l’argent ne doit pas séjourner dans des mains stériles. Il n’est donc pas aussi indifférent qu’on le croit pour l’état, que l’argent passe dans la poche de Pierre ou de Paul ; car il est essentiel qu’il ne soit pas enlevé à celui qui l’emploie au profit de l’état. À parler rigoureusement, l’argent qui a cet emploi dans la nation, n’a point de propriétaire ; il apparrient aux besoins de l’état, lesquels le font circuler pour la reproduction des richesses qui font subsister la nation, & qui fournissent le tribut au souverain.

Il ne faut pas confondre cet argent avec la finance dévorante qui se trafique en prêt à intérêt, & qui élude la contribution que tout revenu annuel doit à l’état. L’argent de besoin a, dis-je, chez tous les particuliers une destination à laquelle il appartient décisivement : celui qui est destiné au payement actuel de l’impôt appartient à l’impôt ; celui qui est destiné au besoin de quelque achat appartient à ce besoin ; celui qui vivifie l’agriculture, le commerce & l’industrie appartient à cet emploi ; celui qui est destiné à payer une dette échue ou prête à échoir, appartient à cette dette, &c. & non à celui qui le possède : c’est l’argent de la nation, personne ne doit le retenir, parce qu’il n’appartient à personne ; cependant c’est cet argent dispersé qui forme la principale masse du pécule d’un royaume vraiment opulent, où il est toujours employé à profit pour l’état. On n’hésite pas même à le vendre au même prix qu’il a coûté, c’est-à-dire, à le laisser passer chez l’étranger pour des achats de marchandises dont on a besoin, & l’étranger n’ignore pas non plus les avantages de ce commerce, où le besoin des échanges décide de l’emploi de l’argent en marchandises & des marchandises en argent : car l’argent & les marchandises ne sont richesses qu’à raison de leur valeur vénale.

L’argent détourné & retenu hors de la circulation, est un petit objet qui est bientôt épuisé par les emprunts un peu multipliés ; cependant c’est