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eût voyagé dans l’Italie méridionale, il y auroit vu sans doute beaucoup de monumens du style dorique grec, monumens aujourd’hui connus de tous les architectes, dans les nombreuses ruines qui en existent encore. Il paroît certain que s’il en eût en connoissance, autrement peut-être que par des description, il n’auroit pas manqué de faire remarquer ce mode dorique, comme un antécédent de celui qui étoit en usage de son temps, lui qui n’a pas omi de faire mention de l’ ancien mode toscan dans la construction des temples. Il est vrai qu’il avoit pu en connoître les traditions dans l’Italie septentrionale, où il nous apprend lui-même qu’il avoit séjourné, et qu’il avoit été employé. D’ailleurs, Rome avoit encore, de son temps, conservé dans plus d’un édifice sacré, la méthode et les pratiques de la construction toscane.

Il paroît donc que Vitruve se sera borné sur cet article, comme sur tous les autres, à établir ses règles d’architecture d’après l’état de cet art, tel qu’il se comportoit à Rome de son temps, d’après les modifications que ses proportions et un style y avoit subies, d’après les modèles et les exemples qu’il avoit sous les yeux ; qu’il travailla enfin pour ses contemporains, et en se conformant aux doctrines ou aux pratiques en crédit et en usage alors.

Le seul ouvrage sur lequel on pourroit se former une idée approximative du mérite de Vitruve, non plus comme théoricien, mais comme architecte de pratique, seroit l’édifice de la basilique de Fano, qu’il construisit en entier d’après ses propres dessins, et dont il s’est plu à nous donner une description assez détaillée, si le dessin qui l’accompagnoit dans son ouvrage eût pu nous parvenir. Malheureusement en ce genre, comme eu beaucoup d’autres, les paroles d’une description la plus détaillée, ne sauroient équivaloir au trait le plus abrégé, tant il est difficile de faire comprendre par l’esprit, ce qui de sa nature est destiné à s’adresser avant tout aux yeux.

La description que Vitruve nous a laissée de ce monument, donne tontefois à connoître qu’il avoir tenté d’introduire dans sa composition une nouveauté, dont il n’est pas impossible de se figuier l’effet et d’apprécier la valeur ou l’abus. Ainsi l’on sait, et l’on apprend de Vitruve luimême, et d’ailleurs des restes d’antiquité le confirment, que toute basilique, dans son intérieur, devoit m composer de trous nefs, celle du milieu plus large que les deux autres, qu’ainsi deux rangs du colonnes en occupoieot ta longueur. On sait qu’au-dessus de chacun de ces deux rangs de colonnes, s’élevoit un étage de colonnes plus petites, formant une galerie tout à l’entour. Vitruve jugea à propos de n’établir dans sa basilique qu’un seul ordre de colonnes au lieu de deux. Ces colonnes, selon les mesures qu’il en donne, avoient cinquante pieds de hauteur ; mais


pour satisfaire à la donnée indispensable de l’étage en travées formant galeries, il dut accoler à ses colonnes, dans la partie regardant les basculés, des pilastres de vingt pieds de haut, larges de deux pieds et demi et d’un demi-pied d’épaisseur. Sans doute de semblables pilastres correspondans étoient adossés aux murs latéraux des bas-côtés, et supportoient les planchers des galeries dont on a parlé. Vitruve fait encore observer qu’il a couvert son intérieur en voûte : ce qui donne à entendre que l’usage auroit été de plafonner les basiliques ; chose d’autant plus probable, que la coutume étoit d’y établir en bois de charpente toutes les architraves. Nous laissons chacun juge du bon effet de l’innovation de notre architecte, qui toutefois s’en applaudit, soit pour la beauté de l’aspect, qui essectivement dut gagner en grandeur dans la nef du milieu, soit en considération de l’économie qui paroîtroit lui avoir inspiré cette disposition.

Quoique le Traité de Vitruve soit fort loin de pouvoir nous dédommager de la perte des nombreux traités et autres ouvrages composés par les architectes grecs sur leur art, on ne sauroit contesler qu’il soit d’une très-grande utilité à l’artiste moderne, surtout à celui qui par des études généralisées s’est appris à voir, au-delà des exemples et des documens postérieurs, les autorités qui leur servirent de régulateur, et à remonter de certains points traditionnels, de certains modèles plus ou moins modifiés, aux monumens originaux et aux doctrines classiques des temps antérieurs, où les arts avoient atteint leur perfection.

En général, il existe deux excès également à éviter par ceux qui pratiquent les arts, et surtout l’architecture. Les uns, frappés du vide immense que le temps et la destruction ont opéré dans les modèles, les traditions ou les préceptes de l’antiquité, se persuadent trop facilement que le peu d’ouvrages qui nous est parvenu des Anciens, ne doit point faire règle, que dès-lors leur autorité est plus ou moins arbitraire. Les autres, par une rigueur tout-à-fait opposée, tirent des conséquences trop absolues d’ouvrages que le hasard seul a épargnés, et ne se permettent pas de supposer que les Anciens aient jamais fait autre chose, ni d’une autre manière, que ce que leur démontrent les foibles restes qui ont échappé à la ruine presque universelle de leurs monumens. Ainsi, pour donner de ceci un exemple, si Vitruve ne nous eût pas dit qu’il avoit élevé sur les colonnes de sa basilique une couverture en berceau, ou en voûte, beaucoup nieroient que la chose se fût pratiquée, et ils regarderoient la couverture en plafond sur colonnes comme la seule qu’on pût se permettre. Cependant, pourquoi ne concevroit-on pas d’une voûte sur colonnes d’une nef basilique, à une pareille pratique sur les colonnes d’une nes de temple, comme les propres paroles de Strabon nous le donnent à