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sique, mais dans l’acception morale que l’esprit et le goût lui donnent.

Il est, en effet, dans la nature de l’ordre, que chaque ouvrage de l’art, comme chaque ouvrage de la nature, porte le caractère extérieur des qualités qui le constituent. On comprend bien qu’il ne s’agit ici que de l’ordre moral et intellectuel. Tout édifice peut, sans doute, suffire aux besoins matériels de son emploi, sans que l’art en façonne les formes extérieures dans la vue de plaire ; mais le plaisir est aussi un besoin pour l’homme cultivé par la société, et c’est ce besoin qui est le père des beaux-arts. Dès que ce besoin se fit sentir, il demanda à l’architecture d’exprimer aux yeux, et par des signes constans, les principaux caractères que les formes, les proportions et les détails accessoires d’un édifice peuvent rendre sensibles.

Ces principaux caractères sont ceux auxquels attachent les idées de puissance ou de force, de grâce et d’élégance, de légèreté et de richesse. Or, comme ces idées qui doivent ressortir de la combinaison des lignes, des formes et des mesures, se manifestent de la manière la plus claire, par la lourdeur on la légèreté, il dut s’établir une progression de ces deux qualités, dans la proportion relative des masses de chaque édifice, et par conséquent des supports ou des colonnes.

De-là cette graduation de lourdeur ou de légèreté qui, dans l’architecture grecque, distingue et caractérise chacun des modes applicables aux édifices, ce que les Grecs appeloient ergasia, les Romains ratio columnarun, et ce que nous nommons un ordre de colonnes.

L’ordre, en effet, et le caractère de la qualité qu’il exprime, n’existent pas seulement dans chaque espèce de colonnes, ils sont répandus dans toutes les parties de l’édifice ; mais la colonne en est l’indicateur et le régulateur. C’est pour cela que l’on a donné le nom d’ordre aux supports de proportion différente, de style et de forme diverse, et diversement ornés, qu’on appelle colonne dorique, ionique ou corinthienne.

A ces différens mots (voyez-les), on a traité, du genre de chacun des ordres, de leur formation, de leur caractère, de leur propriété et de leurs diversités, et nous n’entrerons pas ici dans de nouveaux détails à leur égard.

Le but de cet article a été, en analysant les notions générales de l’ordre appliqué a l’architecture, de montrer comment et par quelle raison l’ordre entendu, non comme disposition quelconque, mais comme emploi systématique des proportion, étoit le privilège de l’architecture grecque, et comment chaque genre de colonnes, appelé ordre étoit le type des proportions, soit matérielles pour l’œil, soit morales pour l’esprit, que l’art sait mettre en œuvre et à différens degrés.

Il est, en effet, constant que chaque ordre de colonnes, et par la nature des proportions qui le constituent, et par l’effet du caractère que ses proportions lui ont imprimé, sert à rendre une espèce de qualité principale, à laquelle correspondent sa mesure, sa forme, son ornement. Mais il ne faut pas croire que chacun de ces trois modes se trouve borné à ce qu’il y a d’absolu dans chacune de ces qualités.

Ainsi, l’ordre dorique, qui signifie la force, peut exprimer beaucoup de degrés et de nuances diverses de cette qualité, par des degrés nombreux de pesanteur et de massivité. La moindre connoissance des monumens doriques de l’antiquité nous apprend, qu’un peut y compter un assez grand nombre de nuances. De fait, il en est de cette sorte d’imitation des qualités abstraites, comme de celle des propriétés du corps humain, où l’on peut, dans l’expression de la forme corporelle, discerner aussi un assez grand nombre de degrés, depuis la pesanteur jusqu’à un commencement de légèreté. Cela se trouve ainsi chez les Grecs, depuis le dorique, qui a moins de quatre diamètres de hauteur, jusqu’à celui qui approche de six en hauteur.

Si l’ordre dorique est celui qui préside à l’imitation ou à l’expression de la force, de la simplicité et de toutes les variétés qui sont comme les demi-tons de ce mode, l’ordre ionique, qui vient après, fait entendre par l’exhaussement de son fût, par la forme plus svelte de sa masse, par l’élégance de son chapiteau, par la suppression des détails commémoratifs de la construction primitive, qu’il est le représentant de ce caractère, qui, dans la conformation du corps humain, appartient à tel sexe ou à tel âge, et qui, dans l’échelle morale des sensations et des idées, est le propre de certaines formes du discours, de certains modes d’éloquence ou de poésie.

Comme on ne peut point faire plus fort que ce qui est déjà fort dans le sens absolu, sans devenir lourd, ni plus léger que ce qui est élégant, sans tomber dans le maigre, ou ne sauroit aller aussi au-delà de ce qui est riche, sans en venir a l’excès du luxe, et l’ordre corinthien, en tant que type et image d’élégance à la fois, et de richesse, trouve, dans l’emploi varié de ses proportions, de ses formes, de ses ornemens, de quoi satisfaire à tous les degrés que peut comporter l’expression de la qualité qui lui est affectée. Aussi l’expérience a-t-elle prouvé qu’on s’est trompé en voulant enchérir sur cet ordre, par la formation du prétendu composite.

Chacun de ces ordres est donc, dans les édifices, l’indicateur des formes, du goût et du caractère sur lesquels se fonde le système de l’ordre moral, qui se rencontre dans l’architecture grecque, et qu’elle seule a su réunir à l’ordre physique des proportions ou des rapports positifs du tout avec chaque partie : de sorte que ce qui est agrément, ornement et richesse, se trouve aussi ré-

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