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qui, comme telle, doit se borner à l’esprit de la chose, à une approximation libre, comportant plus d’une restriction, et plus d’une modification. Ainsi les Grecs eux-mêmes, auteurs de cette transformation, l’ont-ils comprise et pratiquée, et la liberté seule qu’ils ont prise, dans la distribution de la frise dorique, nous en est une preuve.

Tel est toutefois le double écueil, où il est facile de tomber dans le genre d’imitation mixte qui appartient au système de l’architecture. Le bon sens conduit par le goût, et le goût réglé par la raison, peuvent seuls préserver de l’abus qui, d’un côté comme de l’autre, environne cette imitation. La servilité mettra des bornes inutiles et importunes aux dispositions de l’architecte, et l’entière indépendance le poussera dans les champs sans bornes du caprice.

Déjà dans l’antiquité (romaine du moins), nous voyons l’ancienne distribution des triglyphes et leur accord avec les diamètres et les entre-colonnemens, devenus tout-à-fait arbitraire. Ainsi le temple dorique de Cora nous fait voir trois triglyphes dans un seul entre-colonnement, et le côté droit du temple a un entre-colonnement qui en renferme quatre. On voit bien que cela dut procéder d’un espacement entre les colonnes, plus grand que le caractère de l’ordre dorique ne le comporte. (Voyez l’article CORA.) Mais on doit croire qu’il dut arriver à cet ornement de la frise dorique, comme à beaucoup d’autres, de perdre avec le temps sa signification primitive. Il est à peu près indispensable que la chose arrive ainsi, par l’habitude qu’on prend d’introduire indistinctement, et sans égard au sens et à l’esprit de chacun, presque tous les ornemens des édifices, sur beaucoup d’objets étrangers aux convenances de l’architecture.

De cet emploi purement arbitraire, quelquesuns ont conclu que l’origine des triglyphes, en la supposant véritable, n’imposoit pas l’obligation d’en respecter bien fidèlement la disposition. Mais que peuvent des triglyphes taillés sous des corniches de piédestaux, comme on en voit dans l’antiquité romaine, ou sur des sarcophages, à l’instar du célèbre tombeau de Scipion, découvert il y a une cinquantaine d’années aux environs de Rome ? Que de choses les sculpteurs d’ornement et les décorateurs u’admettent-ils pas dans leurs ouvrages pour le seul agrément, et sans plus d’importance, que n’en demandent des objets auxquels on est habitué à n’imposer d’autre obligation, que celle de plaire aux yeux !

Les hommes ne font guère en général dans leurs inventions, que des emprunts d’un ordre de choses à un autre. L’architecture elle-même repose sur des assimilations d’emplois, de formes, de rapports. On ne sauroit donc ni empêcher, ni peut-être trouver mauvais, qu’un grand nombre d’objets et d’ouvrages de besoin, de luxe ou de goût, aient été chercher dans les besoins, le luxe et le goût de l’architecture dont ils dérivent, des


motifs d’ornement, des analogies de formes, qui par le fait même de la transposition qu’ils subissent, perdant la vérité primitive de leur emploi dans l’original, doivent être jugés dans la copie, d’une manière tout-à-fait relative. Si un sarcophage, par exemple, à son couvercle taillé en fronton, ira-t-on exiger de cette couverture, des rapports de proportion avec les colonnes qui semblent le supporter, comme on le fera pour un édifice ? Concluera-t-on de l’exiguïté des colonnes rapetissées, qu’il sera permis a un péristyle réel, d’avoir les désaccords et les irrégularités de la copie capricieuse que le hasard en a faite ? Nul, sans doute, ne tirera de la ces conséquences absurdes. Il en sera de même des membres d’entablement, dont on couronne une multitude de petits monumens, comme autels, cippes, piédestaux, meubles, etc. Qu’on y place arbitrairement des mutules, des modillons, des denticules, des triglyphes, des métopes, que conclure de là en faveur d’un emploi également arbitraire de toutes ces choses dans l’architecture ?

Mais ici, le comble de la déraison seroit de prétendre, comme quelques-uns l’ont fait, que puisque ces membres et ces détails d’ornement sont au fond insignificatifs, et tout-à fait arbitraires, dans les emprunts qu’on en a faits à l’architecture, ils doivent être considérés de la même manière dans les édifices.

En fait de goût, il faut bien se garder de tirer avec rigueur, les conséquences des conséquences. Ce qui ne seroit pas toujours exact, à l’égard des vérités qui reposent sur des faits positifs, deviendroit tout-à-fait absurde, appliqué à des choses de sentiment, dont la vérité morale n’est soumise à aucune évidence matérielle. L’espèce d’imitation qui fait le charme et le mérite de l’architecture grecque, n’a point, comme nous l’avons répété bien des fois, de principe absolu et reposant sur une nécessité physique. Elle n’est autre chose qu’un accord du goût et de la raison. On la fera disparoître dès qu’on voudra la juger par le goût sans la raison, ou par le raisonnement sans le goût. Voila pourquoi cette sorte d’imitation analogique n’ayant rien de mathématiquement certain, comporte un assez grand nombre de conventions, sans lesquelles elles cesseroit d’être possible, ou ne le seroit qu’en devenant absurde et ridicule. Dès qu’il faut y admettre des conventions, voila le goût appelé à lui donner des règles. Mais les règles du goût ne sont obligatoires que pour le sentiment. Rien, en ce genre, ne se démontre à la raison, qui n’est pas l’organe propre à discerner ces choses. Or, l’imitation dont il s’agit, ne pouvant et ne devant être ni copie, ni répétition positive de son modèle, comporte un assez grand nombre d’exceptions, ou pour mieux dire de libertés, dans les ressemblances qu’elle produit. Et il suffit d’examiner l’emploi seul du triglyphe, et son application â l’architecture la plus régulière, pour voir que