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escarpés sormoient comme une avant-scène naturelle, et entre ces rochers on construisit le proscenium sur une sorte de terrasse donnée aussi par la nature. La peinture, et à plus forte raison le discours, ne sauroient rendre la grandeur et la magnificence des aspects, que l’œil embrasse de la galerie qui circule autour du théâtre. La vue s’étend de là sur une large baie, au bout de laquelle coule le fleuve Alcantaro. Plus loin on aperçoit les riches campagnes qui décorent la base immense de l’Etna, les grands bois qui forment la ceinture de sa moyenne région, les neiges perpétuelles qui couvrent la plus haute de toutes, enfin son sommet, qui, selon l’expression du poëte, semble être une colonne du ciel, et qui vomit des torrens de fumée. En se retournant d’un autre côté vers le midi de la Sicile, on découvre les plaines riantes de Leontium, qui s’avancent dans la mer par différens caps, que l’on voit produire autant de plans tous plus riches les uns que les autres, celui de Catania, d’Augusta, enfin jusqu’à celui où est bâtie Syracuse, que l’on voit à peine se perdant dans la vapeur. Voilà quelle est la vue dont on jouit, de la galerie du théâtre de Taormine, et ce qui servoit de perspective aux spectateurs placés sur les gradins supérieurs.

Il n’a point encore paru de dessin qu’on puisse dire fidèle de ce monument, et d’après lequel on puisse en donner des détails exacts. A ce défaut nous extrairons quelques notions de la description qu’en a faite Philippe Dorville, dans sa Sicula illustrata.

Le théâtre de Taormine (dit-il) est aujourd’hui presque dans son entier, ou au moins il conserve les vestiges de son antique forme, car l’amphi-théâtre, c’est-à-dire le lieu où les spectateurs étoient assis, les gradins ou degrés, ainsi que les escaliers, étoient taillés dans le roc vif. Le reste de l’édifice étoit construit en briques de la plus grande forme. Nous ne pouvons déterminer quelle étoit la matière des colonnes, des portiques, et des autres parties de l’édifice ; mais il est probable qu’elles étoient de marbre, car on trouve dans les carrières les plus proches, un marbre diversement nuancé de rouge. Or, telles sont plusieurs des colonnes qui ornent les églises de Taormine, et dans le pays, la tradition est qu’elles ont été enlevées au théâtre.

L’on montoit à la galerie d’en haut, qui circuloit tout à l’entour, par des escaliers et des degrés. On observe qu’il n’y avoit point de ces paliers dans la montée qu’on appeloit prœcinctiones. Il n’y avoit pas non plus de vomitoires, et il ne pouvoit pas y en avoir, puisque les gradins étoient taillés dans la masse même du rocher. Il paroît, autant qu’on en peut juger par ce qui en subsiste encore, que chaque gradin avoit en largeur le double de sa hauteur, et il y a lieu de penser qu’ils étoient recouverts de planches.

Derrière le rang le plus élevé, ou le plus éloi-


gné de l’avant-scène, et autour de l’amphithéâtre occupé par le peuple, il y avoit trente-six niches ornant l’intérieur de la galerie. Ces niches étoient alternativement ornées de frontons angulaires et circulaires. Il est naturel de penser qu’elles étoient remplies par des statues, qu’on sait avoir été très-multipliées dans tous les théâtres des Anciens.

De chaque côté de l’édifice, au lieu où se terminent les gradins de l’amphithéâtre, c’est-à-dire aux deux extrémités de l’avant-scène, on voit les restes assez entiers, de deux corps de bâtiment, dont la construction est antique. Ils étoient distribués en plusieurs pièces, et, autant qu’on en peut juger, il y en avoit deux étages. Ces deux corps étoient réunis par la construction même de ce qui formoit la scène proprement dite, laquelle étoit décorée d’ordonnances d’architecture, et percée de trois portes ; celle du milieu étoit plus grande que les deux autres. Derrière cette devanture régnoit une sorte de corridor qui étoit le postscenium. On peut voir dans le Voyage de Saint-Non, tom. IV, une restititution en élévation et en plan de ce théâtre, d’après laquelle, bien qu’elle laisse à desirer, nous avons rectifié quelques inexactitudes de la description de Dorville, et avec d’autant plus d’assurance, que nous avons nous-même visité les restes de Taormine.

Il existe encore dans cette ville quelques autres débris d’antiquité, tels que des constructions d’anciens aqueducs masquées par des constructions nouvelles. Plus haut, d’autres aqueducs apportoient sans doute des eaux abondantes, dans cinq piscines très-vastes, dont la première, encore parfaitement conservée, indique le plan et la construction des quatre autres qui étoient adossées à la montagne. Ces piscines, quoique moins grandes que celle qu’on appelle à Baies la piscina mirabile, sont absolument dans le même goût ; elles forment de grands carrés longs avec des arcs portés sur des piliers. On y voit encore l’ouverture par laquelle arrivoient les eaux, et une autre pour écouler le trop plein des réservoirs. Il y a un escalier pour y descendre, et enfin une écluse pour les vider entièrement et en ôter le limon.

L’eau de ces piscines se rendoit, dit-on, à une naumachie au milieu de la ville. C’est ainsi qu’on appelle un reste de construction antique décorée en niches ou arcardes de onze pieds d’ouverture, séparées par des piliers carrés en forme de contreforts. Le tout est construit en briques. Quelques autres vestiges du même genre de construction, engagés dans des maisons voisines, donnent le côté parallèle de cet édifice, et permettent de conclure que sa largeur étoit d’environ vingt-quatre toises.

Ce qui faisoit le bassin de cette prétendue naumachie, est rempli de terres et de plantations formant aujourd’hui un jardin. Il est peu vraisemblable, malgré l’opinion vulgaire dans le pays, qu’il y ait jamais eu une naumachie dans cette partie de